« En France, tu étais complètement catalogué »: à la rencontre des artistes français qui se sont installés en Belgique
À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle française, Focus est parti à la rencontre des artistes français installés en Belgique. Les expatriés hexagonaux ont trouvé chez nous une terre d’accueil pour développer leur art et vivre tout simplement.
« Moi, je les aime fort ces bons Belges« , écrivait Victor Hugo en exil en Belgique, pays qu’il parcourut en long et en large. Sa déclaration d’amour n’empêchera pas son expulsion par les autorités belges suite à ses commentaires sur la Commune de Paris. Ses compatriotes actuels ne leur en ont pas tenu rigueur puisque la Belgique compterait quelque 110 000 Français inscrits sur son territoire et se révèle une terre d’accueil privilégiée par ses voisins.
Boulangeries parisiennes, charcuteries du Sud-Ouest… Certains quartiers de la capitale sont devenus presque des petits Paris. Mais le drapeau bleu-blanc-rouge ne se plante pas que sur la table des expatriés. Dans les galeries, les théâtres, les salles de concert, les ateliers d’artistes de Bruxelles (et de Liège, Mons…), les Français se pressent, s’exposent, jouent et font vibrer la ville de leur créativité.
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C’est un fait, la présence française se marque dans les écoles supérieures artistiques plus accessibles tout en étant réputées à l’international pour les formations qu’elles prodiguent. Depuis quelques années, La Cambre dénombre dans ses salles de cours plus de la moitié d’étudiants ayant traversé la frontière. Une tendance qui se confirme en proportions diverses dans la plupart des secteurs artistiques, les arts de la scène étant particulièrement concernés. Mais c’est aussi la douceur de vivre à la belge (si, si) qui séduit sur le long terme des Français qu’ancrent des loyers moins élevés qu’à Paris, certes, mais aussi un bouillonnement artistique et une qualité d’accompagnement des projets – dans l’officiel comme dans l’underground. Capitale européenne et ville cosmopolite, Bruxelles offre autant d’opportunités, si pas davantage, que les cercles culturels hexagonaux, très courus mais peut-être plus cadenassés. Les pages qui suivent témoignent de cette French Touch qui s’ imprime et se confond aujourd’hui dans le paysage artistique belge francophone. Histoires de liens plus que de concurrence.
Musique // Bruxelles Vie
« Ne me demande plus comment/J’ai pris racine/Sur tes pavé détrempés entre les rails de ton tramway. » En 2012, Françoiz Breutdéclarait sa flamme à sa ville d’adoption, avec le titre BXL Bleuette. Cela fait maintenant plus de 20 ans que la native de Cherbourg y a élu domicile. Au départ pour y accompagner son amoureux de l’époque, Dominique A. Lui repartira, elle restera, musicienne-illustratrice devenue l’une des figures clés de la scène musicale locale. De tout temps, la Belgique a attiré les chanteurs de l’Hexagone. De Barbara à Camélia Jordana, de Miossec à Mathieu Boogaerts. Les raisons, pas forcément fiscales, sont connues. Une certaine douceur de vivre et un immobilier encore accessible, dans une capitale majoritairement francophone. Y ont débarqué récemment Flavien Berger, Ozferti (le projet électro-world de Florian Doucet), Charlène Darling(un premier album lo-fi, Saint-Guidon), Clément Nourry (Under The Reefs Orchestra), la chanteuse (neo)soul Stace, ou encore Rover, alias Timothée Régnier, qui a enregistré son dernier album, Eiskeller, aux anciennes glacières de Saint-Gilles… De son côté, sous le nom de Monolithe noir, Antoine Pasqualini compose des paysages électroniques ombrageux. Il a également ramené l’enseigne Balades Sonores, disquaire parisien installé aujourd’hui dans les Marolles.
Car les Français de Belgique ne poussent pas seulement la chansonnette. Ils s’investissent aussi de plus en plus souvent dans la vie culturelle et événementielle. À l’image par exemple du réalisateur Manou Milon, créateur des capsules live Bruxelles ma belle; ou de Benjamin Fournet, qui a lancé le Ways Around Festival le week-end dernier, à Bruxelles. Né à Clermont-Ferrand, il a toujours travaillé dans la musique, en tant que booker-producteur. « Et puis, il y a six ans, ma femme a eu une opportunité professionnelle à Bruxelles. Aujourd’hui, on ne voudrait plus partir. » Benjamin Fournet a monté sa structure de booking-management. « En étant à Bruxelles, je peux bouger très facilement à Paris, Londres, Amsterdam, Cologne. Et puis au-delà du professionnel, c’est une capitale agréable à vivre, moins chère que Paris, où l’on parle plein de langues différentes. Pendant le confinement, on a aussi fait pas mal de vélo, ce qui a permis de mieux découvrir la ville. » De la même manière, le Ways Around Festival a lui aussi la bougeotte, en se produisant durant trois jours dans trois endroits différents (Atelier 210, Brass, Atomium). « Très humblement, l’idée était de créer un événement autour du rock, indé, post-rock, garage, etc. Toutes des musiques qui frémissent à nouveau, avec des groupes comme Idles qui cartonnent à l’international. »
Connexions
Artistiquement aussi, la Belgique exerce une attraction outre-Quiévrain. De la même manière qu’avait pu se tracer un axe Rennes-Bruxelles dans les années 80, autour de la scène new wave, la hype rap made in Belgium a aussi produit son petit effet. Producteur notamment pour Ichon, Lala &ce ou Swing, PH Trigano est installé aujourd’hui à Bruxelles. Le trompettiste Béesau a, lui, sorti l’an dernier un premier album, Coco Charnelle pt. 1, sur lequel apparaissait le Bruxellois Primero, membre de L’Or du commun (ODC), et incluait un morceau intitulé +33 <3 +32. "Je me rappelle d'un festival du côté de La Rochelle, y a 5, 6 ans, où jouait l'ODC. C’était très écouté dans notre coin. Je rêvais de pouvoir collaborer avec eux. Pourtant, au départ, je ne connaissais pas trop la scène belge, à part Scylla. Mais quand le Bruxelles arrive de Roméo Elvis est sorti, on est vraiment tombé dedans. » Aujourd’hui, Rémy Béesau passe la moitié de son temps à Bruxelles. Via PH Trigano, il a pu rencontrer les membres de L’ODC. « On est devenus potes. Récemment encore, je les ai invités pour une résidence de deux semaines à l’île de Ré, avec YellowStraps, etc. » À cheval entre Paris et Bruxelles, quel regard jette-t-il sur la Belgique? « Quand je suis arrivé, j’étais vraiment le « Frouze » de base (rires). Du coup, je me renseigne petit à petit… Pour moi, qui suis fort dans l’affect, dans les rencontres, j’ai l’impression que les connexions se font quand même plus facilement ici. Plus intensément aussi. L’ouverture d’esprit est plus grande. Je me rends bien compte que c’est un peu cliché ce que je dis là, mais je pense quand même qu’il n’y a pas de fumée sans feu. »
Cinéma // « Une vraie ouverture »
Ils écoutent France Inter mais supportent les Diables Rouges et ils ne se feront sans doute jamais à ce ciel si bas qu’un canal s’est pendu. Ils et elles ont un point commun: être arrivés en Belgique pour faire leurs études, et n’être jamais repartis.
On a coutume de dire que pour un artiste belge (francophone), la clé du succès se trouve en France. De fait, nombre de comédiens et comédiennes belges ont vu leur carrière exploser en passant par la case parisienne. Pourtant, le cinéma belge regorge de talents… français. Les Hexagonaux représenteraient pas moins de 5% de la population bruxelloise. On peut penser que les conditions d’accès à l’IAD et l’Insas, les deux grandes écoles de cinéma belges francophones, n’y sont pas pour rien. « Le système belge, c’est un entonnoir inversé, explique le réalisateur Emmanuel Marre (Rien à foutre). En France, on sélectionne tout de suite un tout petit nombre d’étudiants auxquels on donne plein de moyens. En Belgique, la sélection se fait au fur et à mesure, et ça me semble beaucoup plus intéressant. »
Même son de cloche chez la réalisatrice Rachel Lang (Baden Baden, Mon légionnaire): « Je suis venue pour faire l’IAD, qui a ce truc génial: le concours d’entrée est à la fin de la première année, il est donc ouvert à 60 personnes qui ont étudié le cinéma pendant un an. »
Également arrivée en Belgique pour suivre des études (un DES en gestion culturelle à l’ULB), la productrice Julie Esparbes (Une vie démente, sept Magritte lors de la dernière cérémonie, mais aussi la série La Trêve) confirme: « Ça m’a fait beaucoup de bien de quitter la France et son élitisme, je crois! J’avais fait Sciences Po, j’avais subi une pression constante. En arrivant en Belgique, j’ai pu décompresser. Plus qu’au CV, on faisait attention à la personne. C’était d’autres rapports humains, libérés du poids de l’excellence. En France, j’aurais dû faire des stages pendant très longtemps, postuler à des endroits où on aurait été des dizaines de candidats. Ici, j’ai fait un DES, un long stage et puis j’ai directement trouvé un travail dans une boîte de production, où j’ai pu faire mes preuves et devenir productrice assez rapidement. J’ai bénéficié d’un espace de confiance et de liberté dont je n’aurais pas pu trouver en France, où les choses sont plus figées hiérarchiquement. »
L’entrée dans la vie active est facilitée par une plus grande horizontalité des fonctions, ou encore une certaine perméabilité dans les possibilités d’évolution. « Ce que j’aimais bien en Belgique, raconte le producteur et réalisateur Guillaume Malandrin (Je suis mort mais j’ai des amis), c’est que tu pouvais être assistant réal le mardi et travailler sur une pub le mercredi, scénariste sur un long en fin de semaine et producteur le week-end. Il y avait une vraie ouverture. Alors qu’en France, tu étais complètement catalogué. »
Bruxelles – « une ville à taille humaine, mais qui a l’attrait d’une capitale, extrêmement cosmopolite en plus », précise Rachel Lang – a su retenir celles et ceux qu’elle a attirés à l’orée de l’âge adulte. La qualité de vie n’y est pas pour rien, bien sûr. Le comédien Clément Manuel se réjouit d’habiter près de la gare du Midi et d’avoir un petit jardin. Mais il vante surtout l’état d’esprit qu’il a trouvé ici, et que beaucoup apprécient: « En Belgique, on est fier d’être modeste, alors qu’en France, on est juste… fier (rires). En fait, en Belgique, on fait. En France, on est fier d’avoir fait. »
Scènes // Une fameuse force d’attraction
Y a-t-il beaucoup de Français dans le milieu théâtral en Fédération Wallonie-Bruxelles? A priori, on n’en a pas vraiment l’impression, mais quand on y regarde de plus près, des artistes qu’on pensait belges ou au sujet duquel on ne s’était même pas posé la question tant leurs projets semblent ancrés en Belgique, viennent en fait de l’Hexagone. En prenant comme échantillon représentatif les lauréats des dernières années aux Prix Maeterlinck de la Critique, on relève en effet pas mal de Français: les membres de la compagnie Chaliwaté (Demain), Magrit Coulon (Home), Jules Puibaraud (Des caravelles et des batailles), Sarah Grin (Partage de midi), Justine Lequette (J’abandonne une partie de moi que j’adapte)… Mais on pourrait citer d’autres artistes phares de nos scènes comme Selma Alaoui, Aurore Fattier, la compagnie Karyatides ou encore Denis Laujol… Dans la grande majorité, leur parcours a basculé de ce côté-ci de la frontière de Quiévrain à l’occasion de leurs études supérieures, sous la force d’attraction des écoles belges.
Le phénomène n’est pas récent et prend de plus en plus d’ampleur, à en croire Nathanaël Harcq, directeur de l’Esact (École Supérieure d’Acteurs), une des composantes du Conservatoire royal de Liège: « Aujourd’hui, on compte plus de 50% d’étudiants français, explique-t-il. Depuis une quinzaine d’années, on est dans une courbe croissante. Concrètement, c’est lié à la visibilité de lauréats sortis de l’école, dont les spectacles ont rayonné notamment au Festival d’Avignon et au Festival Impatience (festival français de théâtre émergent, NDLR). Par exemple, Le Signal du promeneur du Raoul Collectif, qui est au départ un projet porté par des étudiants dans l’école. On pourrait citer aussi le premier spectacle de Fabrice Murgia (Le Chagrin des ogres) ou Nourrir l’humanité, c’est un métier (de Charles Culot). Il y a également des projets portés par les pédagogues de l’Esact. Quasiment tous les spectacles de Françoise Bloch depuis plus de dix ans (Grow or Go, Une société de service, Money! …) ont d’abord été des formes développées dans l’école et ensuite professionnalisées. Tout ça montre en France que quelque chose de singulier se passe à Liège. »
Afflux
Le rayonnement de l’Esact, Sébastien Foucault, comédien vu dans plusieurs spectacles retentissants de Milo Rau (Hate Radio, La Reprise…) et qui présente son propre projet Reporters de guerre au prochain Kunstenfestivaldesarts, l’a vécu de l’intérieur. À 28 ans, après plusieurs années d’études en lettres et un passage dans les milieux underground bruxellois, ce Français originaire du nord-ouest a commencé une nouvelle vie comme étudiant au Conservatoire de Liège, dans la même promotion que David Murgia – benjamin de la classe, frère cadet de Fabrice Murgia et futur membre du Raoul Collectif. « Il y a eu plusieurs années de grande émulation autour de cette promotion, explique-t-il. L’Esact a toujours été un territoire pour quelques Français parce que les concours en Belgique sont réputés moins durs qu’en France, où des centaines et des centaines de jeunes se présentent. Mais en quelques années, l’école a beaucoup changé, avec l’arrivée de nombreux étudiants français. »
Cet afflux, plutôt flatteur pour les écoles belges, n’est pas sans poser quelques problèmes, notamment en raison de la disparité entre les niveaux de préparation et d’apprentissage des uns et des autres. « Les Français qui se présentent à Liège ont souvent des parcours scolaires plus importants, précise Nathanaël Harcq, que ce soit déjà dans le domaine du théâtre, ou en sociologie, en anthropologie… Alors que les Belges arrivent souvent directement de l’école secondaire. Contrairement à ce qui se passe en France, il n’existe pas en Belgique au sein des académies un dispositif de préparation à un niveau très élevé. » En Fédération Wallonie-Bruxelles, les académies servent essentiellement à ce que tout le monde puisse pratiquer un art, pas à préparer à un examen d’entrée.
Ce déséquilibre des candidats crée une raréfaction des étudiants « nationaux » et contraint les jurys à imposer des quotas implicites. « J’étais le seul Belge dans ma classe, et de loin le plus jeune, nous expliquait récemment Simon Thomas, comédien, auteur et metteur en scène à la barre de l’excellent Stanley, à propos de son arrivée à l’Insas, à Bruxelles, où existe le même phénomène qu’à Liège. Beaucoup arrivent avec une formation hyper complète en littérature et toi, tu as juste lu Madame Bovary ! Tout mon parcours n’a été qu’une prise de confiance. »
Face à ce constat mais face aussi à la sous-représentation des personnes racisées et des classes populaires au sein de l’école, l’Esact a lancé il y a huit ans des stages « Profession acteur actrice », adressés à de potentiels candidats résidant en Belgique, comme voie d’accès facilitatrice. Cette démarche connaît aujourd’hui un coup d’accélérateur avec la mise sur pied d’une année préparatoire qui s’ouvrira à la prochaine rentrée à Namur. Un pas vers un rééquilibrage, qui brise certains tabous sur le fonctionnement du secteur.
BD // Terre historique d’accueil des bédéistes
Ce n’est ni un secret ni une nouveauté (on ne parle pas mondialement de la BD dite « franco-belge » pour rien): la Belgique est le pays qui compte le plus d’auteurs français sur son territoire en dehors de la France. Une concentration hors norme qui s’explique évidemment par l’Histoire même de la bande dessinée au XXe siècle (de Hergé au Journal de Spirou) et par la manière dont elle fait partie, plus qu’ailleurs, de la culture nationale, avec un maillage inégalé d’éditeurs, d’imprimeurs, d’ateliers collectifs et surtout d’écoles réputées, abordables ou spécialisées dans le médium, telles les Écoles supérieures des Arts Saint-Luc à Liège ou Bruxelles.
Si le Strasbourgeois Jacques Martin (Alix) et le Nantais Jean Graton (Michel Vaillant) n’eurent pas besoin à leur époque de la case « école » pour s’exiler en Belgique, c’est devenu le passage presque obligé des auteurs des nouvelles générations, qui décident souvent de rester quelques années voire toute la vie. Ainsi, Abdel de Bruxelles est arrivé de Narbonne à l’âge de 20 ans pour rejoindre l’atelier d’illustration à l’Erg et n’est jamais reparti (ça fait 30 ans). « Il a même fallu que je vienne à Bruxelles pour qu’on me voie comme un Français! »
À Bruxelles depuis treize ans, Émilie Plateaua débarqué avec son diplôme des Beaux-Arts de Montpellier sous le bras, « parce que beaucoup d’anciens y avaient déménagé avant moi et m’avaient dit que c’était plus simple de démarrer dans un domaine artistique« . Elle y a ensuite découvert, cliché flatteur, « une douceur de vivre, une bienveillance et une facilité à monter des projets » qui aujourd’hui encore lui donne l’envie de rester.
Tous les deux ont en tout cas demandé et obtenu leur carte d’électeur – les Français hors de France doivent s’inscrire pour avoir le droit de voter. Dans un milieu artistique plutôt porté vers le progressisme et les idéaux de gauche, la campagne de l’élection présidentielle et ses perspectives leur semblent en tout cas « affligeantes » ou « extrêmement inquiétantes« , mais pas encore au point de les intéresser vraiment à la politique belge: « Elle reste pour moi très énigmatique« , avoue Émilie.
Arts plastiques // De la place au possible
« La magie de Bruxelles, c’est que c’est une ville très imparfaite d’une certaine façon, qui laisse de la place au possible. Ça fait son charme. » Bruxelles, Marc Buchy connaît bien. Il y réside depuis plus de dix ans et en fréquente les scènes artistiques aussi bien francophone que flamande et internationale anglophone. Identifié aujourd’hui comme un artiste de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il a exposé aussi bien à Kanal qu’à la Maison Grégoire, à la Fondation Moonens ou encore à Été 78. Mais ce Français originaire de Metz est d’abord arrivé en Belgique à Tournai, à 18 ans, pour suivre un bachelier en photographie et en vidéo à l’ESA Saint-Luc. « J’ai opté pour la Belgique un peu par hasard, un peu par naïveté, par envie d’aller loin, dit-il. Comme Tournai est vraiment très proche de Lille, on était beaucoup d’étudiants français dans l’école. Mais moi qui venais de l’est de la France, j’étais le seul de ma section à « koter » à Tournai, tous les autres rentraient en France à la fin de la journée. Ça m’a permis de rencontrer la culture belge plus directement. »
En 2010, Marc Buchy arrive à Bruxelles pour suivre un master, non pas à La Cambre ou à l’Erg, deux écoles d’art très courues par les étudiants venant de l’Hexagone, mais dans un établissement flamand, la LUCA School of Arts. « Là j’étais le seul Français, mais il n’y avait également qu’un seul Belge. Les autres étaient russe, chinois, espagnol, iranien… dans des cours donnés en anglais. Pour moi, c’était très proche de l’esprit bruxellois, puisque Bruxelles est une ville très internationale. Paris aussi est internationale, mais d’une autre façon: je n’ai pas l’impression que les gens s’installent vraiment pour vivre à Paris alors qu’à Bruxelles les gens restent et ont une vraie vie sur place. Moi, je me sens bien dans cette ville. »
Une des raisons qui a permis à Marc Buchy de s’ancrer dans la capitale belge a été la gestion d’un lieu d’expositions et d’ateliers, Greylight Projects, lancé en 2013 près du Botanique avec Wouter Huis et Stéfan Piat. « Au même moment, il y a eu pas mal d’espaces qui se sont ouverts et qui ont marqué les esprits pour les gens de ma génération, comme De La Charge ou Rectangle. Souvent des projets éphémères, qui durent quelques années, mais ça n’est pas retombé: de nouveaux lieux continuent d’ouvrir très régulièrement. C’est un phénomène très bruxellois, je pense. » Un phénomène rendu possible par les loyers relativement abordables comparés à des capitales proches comme Paris ou Londres. Même si la situation tend à changer: « Ce n’est plus l’Eldorado que ça a été, encore moins depuis le Covid. Même si Bruxelles reste moins chère que Paris – parmi mes amis plasticiens, je ne connais quasiment plus personne qui habite à Paris intra-muros -, les lieux commencent à s’excentrer. Level Five, par exemple, qui était en plein centre, a déménagé à Ganshoren. »
L’actu de Marc Buchy, elle, se déroule pour l’instant à Liège: l’exposition Entretenir vaut mieux (visible jusqu’au 8 mai), en duo avec l’artiste franco-russe Katya Ev et curatée par Dorothée Duvivier. Le show prend place à la New Space, un nouveau lieu ouvert par Alain De Clerck, installé dans un garage de 500 mètres carrés laissé dans son jus. Car dans la Cité ardente aussi, ça bouge plutôt bien. Encore une raison de passer la frontière.
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