Flavien Berger, retour vers le futur

"Les préoccupations de temps, celui qui me reste, me parlent. De plus en plus d'ailleurs." © VALE'RIE LE GUERN, MAYA DE MONDRAGON, JULIETTE GELLI
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Après avoir exploré les fonds marins, Flavien Berger s’essaie au voyage dans le temps sur un disque de science-fiction romantique. Entre aventures électroniques et pop extatique. Entretien.

Longues douilles qui lui tombent sous les épaules, moustache souvent bien taillée et regard perçant couleur océan… Flavien Berger est le nouveau héros de la pop en français. Une espèce d’Étienne Daho qui serait parti dans un vaisseau spatial, on ne sait pas trop où, ni vraiment trop quand, explorer l’universalité de l’amour et de l’être. Cofondateur du collectif Sin, bande de bricoleurs, plasticiens, musiciens, charpentiers aux drôles de machines qui font rêver, Berger a la pop électronique, romantique, psychédélique et poétique. Alors que sort Contre-temps, son nouvel album, rencontre avec un mec érudit à la vision panoramique et aux oreilles XXL tombé dans la musique grâce à la PlayStation.

C’était quoi l’idée quand tu t’es mis à bosser sur ton nouveau disque?

Une chose était sûre: je voulais parler de voyage dans le temps. C’était le premier truc. Ça partait d’un thème. Pas nécessairement d’un genre, d’un format, d’un instrument. J’ai commencé à composer les chansons qui me trottaient dans la tête. Ça a duré un an et demi. Les seules intentions, c’était d’être au plus proche des sentiments. Au plus proche de l’oreille de celui qui écoute. Quitter l’emphase et la métaphore… J’imagine les disques comme des aventures. Des aventures fantastiques. Comme de la littérature. Mon premier album, Léviathan, c’était une aventure subaquatique. On partait un peu dans les abysses, dans un monde imaginaire, rencontrer un grand monstre qui en fait était la musique. Après la quête de cette créature tentaculaire qu’on ne voit pas mais qui est là, j’ai dans cette deuxième aventure envisagé le cadran de la musique comme un cadran de voyage dans le temps.

C’est-à-dire?

La musique permet d’anticiper des choses. Elle permet de se souvenir, d’arrêter le temps, de l’accélérer, de le ralentir… C’est une matière temporelle qu’on travaille et qui donne une durée. Une durée d’expérience. Les souvenirs et les projections sont la même chose. Et Contre-temps, c’est ça. Dans une histoire d’amour, comment on se souvient et comment on imagine que les choses seront. Et comment, en fait, le plus important reste le présent. Le moment qu’on vit. Comment on s’y accroche. La chanson Brutalisme parle de ça. De faire durer au plus possible le présent. Faire durer l’histoire. Faire qu’elle ne s’arrête pas. Les préoccupations de temps, celui qui me reste, me parlent. De plus en plus d’ailleurs. J’ai écrit ce disque un peu dans l’insouciance, en chopant des intuitions, et je ne le comprends que maintenant. C’est un disque qui parle de couple. Je ne dirais pas qu’il est prémonitoire, mais sans m’en rendre compte, j’ai écrit beaucoup de choses dont je n’avais pas conscience. Ce n’est pas un disque auto-prophétique mais c’est un disque que j’ai fait pour me sentir bien aujourd’hui. Et ça ne marche pas…

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Qu’est-ce qui t’a inspiré? En l’écoutant, on pense à des films comme Her et Eternal Sunshine of the Spotless Mind

Je suis hyper sensible à Kaufman, Jonze, Gondry, dans l’utilisation qu’ils font de la technologie dans l’histoire d’amour. Ça me parle vachement. Ce qui m’intéresse, c’est le retour sur soi. La distanciation. Comment parler de notre époque sans en parler mais en en racontant une autre. Comment parler des sentiments humains qui traversent les âges mais restent les mêmes. On a les mêmes peurs, les mêmes envies. Même si on a évolué et si on s’est ouverts par rapport à certaines valeurs. On reste des coeurs solitaires toute notre vie. J’aime qu’on transpose ça dans d’autres mondes. Pour dire que, même là, ça existera. J’apprécie leur travail parce qu’il inquiète en même temps qu’il rassure. Une référence majeure, ça a été Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais. C’est un film d’auteur, de science-fiction, de voyage dans le temps avec un super scénario sorti en 1968. L’histoire d’un mec qui voyage dans le temps. On va revivre son histoire d’amour et on va comprendre pourquoi. C’est un type qui se suicide, se rate. La science lui propose de donner son corps comme cobaye. On va vivre son histoire d’amour, comprendre pourquoi il s’est suicidé. C’est super beau. Ça chope des instants de vie dans une love story universelle et à la fois très atypique. C’est une grande référence pour moi. Parce que, dans ce disque, je suis aussi beaucoup dans l’ellipse. On passe d’une chose à l’autre sans vraiment crier gare. C’est un système de montage musical que j’ai depuis le début. L’ellipse, c’est quitter quelque chose pour arriver ailleurs. Mais sans trop d’explication. Sans trop de transition.

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Mère monteuse, père réalisateur (le frère est superviseur d’effets spéciaux, les soeurs scénariste et chef décoratrice, NDLR)… Le cinéma t’a beaucoup nourri adolescent?

J’allais au cinéma, pas aux concerts. Donc, j’ai commencé à écouter de la musique dans des films. La musique a été très vite liée aux ambiances, aux scènes. J’ai longtemps cru que j’allais être cinéaste. Sauf qu’un jour, je me suis rendu compte que je n’avais pas fait de film mais que j’avais fait plein de musique. Et donc que j’allais être musicien. C’est lié. J’ai trouvé la musique comme moyen d’expression. Et peut-être que je raconte avec ma musique des trucs que je raconterais à travers le cinéma ou un autre médium. C’est juste la manière la plus subtile pour moi de raconter une histoire aujourd’hui…

Il y a quelque chose de kraut dans ton univers. Tu en as beaucoup écouté?

Je m’y suis fort plongé oui. J’aime beaucoup la musique de transe, qu’elle soit rock, électronique, ambient, africaine. J’aime le kraut parce qu’il y a un thème, une esthétique musicale assez définie. Et dedans plein de variations. J’ai découvert avec Neu! et c’était compréhensible pour moi. Je ne sais pas expliquer. J’ai essayé de faire du kraut sans pouvoir en faire. Parce que je n’en fais pas vraiment en fait. Comme quand Moebius et Plank font Rastakraut Pasta… Ils veulent faire un album de reggae et ça n’en est pas un du tout. Personne ne l’entend mais eux sont convaincus que c’est ça. J’aime cette porosité entre les genres. Quand ils pensent se singer mais qu’ils font autre chose. Oui, j’ai eu ma période François de Roubaix et j’ai flashé sur des BO de John Carpenter. Mais aujourd’hui, on a Spotify. Alors, je m’attaque à plein de trucs hyper épars. Je me fabrique de longues playlists que je ne réécoute pas. Je m’étais fait une compile pendant la compo du disque. Il y avait un extrait de There’s a Riot Goin’ On de Sly and the Family Stone -un disque que Sly a fait quasiment tout seul-, du Telex, Jóhann Jóhannsson et sa BO pour Premier contact de Denis Villeneuve. Même du Milli Vanilli. Tu as accès à tout. Tu peux tout thésauriser. Tu es forcément moins obsessionnel. Avant quand tu achetais un CD, tu l’usais. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus diffus et d’autant plus riche, je pense. J’écoute moins martelé. J’évite les morceaux en boucle. Enfin, hier, je me suis obstiné sur @ Home d’Infinite Bisous. Il a bossé avec moi sur le disque. C’est un mec que j’adore. Un guitariste de Connan Mockasin.

Sur la chanson Contre-temps, tu chantes « Il y a pas moyen que ça disparaiss, des félins de notre espèce ». L’écologie te préoccupe?

Forcément. Mais je ne fais pas grand-chose. C’est un morceau qu’on a écrit avec Anaïs ( Bonnie Banane, NDLR). Il y a cette question du léopard qu’on retrouve à différents endroits du disque. C’est une espèce en voie de disparition. Comme les panthères. Les panthères noires étant des léopards albinos, des léopards qui ont un problème de mélanine. Mais les félins, en même temps, c’est un duo, un couple dans la chanson. On ne va pas disparaître. On va continuer à exister. C’est encore une fois une volonté que les choses restent dans le présent. Qu’on reste ensemble. Un message d’espoir.

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Un de tes nouveaux morceaux s’intitule Brutalisme. C’est un courant architectural caractérisé par la répétition de certains éléments, l’absence d’ornements, le caractère brut du béton…

La chanson ne parle pas du tout de ça mais j’aimais le bâillement entre le titre de travail et ce qu’elle raconte. Je ne connais pas encore trop le lien entre ces choses-là. Mais j’aime bien cette architecture qui se veut un peu architecture du futur. On parlait du passé, du futur, du fait que les choses ont toujours un peu les mêmes formes. Mon disque parle aussi de château fort. Il a un côté assez médiéval. J’ai l’impression que les architectures brutalistes répètent ce qu’on a essayé de faire au moment des châteaux forts. Le Barbican à Londres par exemple. C’est typiquement un monument brutaliste. Il y a un conservatoire, des cafés, des fontaines… Tout ça est dans la city et tout ça est fermé. C’est une espèce de château fort. Et à l’intérieur du château, il y a toute la ville. Le logo du Barbican, c’est une tour de donjon de château fort. J’aime cette idée que les volontés et les schémas se répètent sous d’autres formes. Je ne nourris pas une curiosité particulière pour l’architecture. Pas plus que pour le reste.

Ton titre Medieval Wormhole ressemble à un morceau futuriste du dernier Camille…

Les musiques traditionnelles reviennent à fond. Quand tu es ado, tu trouves que les musiques trad, c’est nul. Et quand tu deviens adulte, tu te rends compte qu’il y a plein de trucs géniaux. Ça va avec l’âge, je pense, cette curiosité du passé. Aimer visiter des monuments, ce n’est généralement pas quelque chose que tu fais jeune. Tu deviens conscient du poids des choses. De l’impact de la culture dans l’Histoire.

Tu fouilles beaucoup pour préparer tes disques?

Il y a un gros travail de recherche, oui. Comme à l’écriture d’un ouvrage en fait. J’amasse plein de bouquins, plein de doc. Je mène une enquête. Et durant cette enquête, je chope un tas de trucs au vol comme quelqu’un qui préparerait une exposition ou qui écrirait un livre. C’est s’immerger dans un univers. Et dans mon cas, souvent via la littérature et le cinéma. Et la musique aussi, bien sûr. Tu te crées une bulle esthétique qui va alimenter le travail. J’aime beaucoup garder ces documentations, les ranger par zone et me souvenir que j’avais traversé ça à ce moment-là. Je rassemble les choses ainsi dans ma bibliothèque. Chassol documente beaucoup lui aussi. J’adore. Ce qu’il fait, c’est une réponse multimédiatique au monde. Il harmonise et surharmonise de l’information. C’est très très beau.

Tu as récemment collaboré avec Étienne Daho et Étienne Jaumet. Qu’est-ce que ces mecs représentent pour toi?

Étienne Daho, c’est lui qui m’a invité. Jaumet, c’est le contraire. C’est à mon initiative. ça n’a pas du tout été le même type de collaborations. Daho avait une idée. Il voulait me placer dans une chanson parce qu’il pensait à un choeur angélique à la Beach Boys. Jaumet, je l’ai invité parce que je devais faire ce morceau pour la compilation Voyage III de Pan European. Jaumet, je l’associais au début à ce label qui est encore le mien. J’aimais sa musique. Du coup, j’ai voulu travailler avec lui. J’aime bien les collaborations. Mais surtout quand elles sont évidentes. Quand tu te dis que tu ne peux pas faire ce truc avec qui que ce soit d’autre. J’ai invité Julia (Lanoë de Mansfield. TYA et Sexy Sushi, NDLR) et Anaïs à chanter sur mon disque parce que quand je créais ces morceaux, j’entendais leurs voix. Ce n’est pas interchangeable, une collaboration. Ce n’est pas juste pour collaborer. C’est que l’autre apporte quelque chose à ta musique qui, à ce moment donné, est nécessaire.

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Le 15/11 à La Condition publique (Roubaix), le 22/11 à l’Orangerie (Botanique).

Flavien Berger – Contre-temps

Distribué par Pan European Recordings. ****

Il avait composé Léviathan sur GarageBand et a fabriquéContre-tempsavec Logic… Flavien Berger a changé de logiciel. Flavien Berger aime briser les habitudes. Il adore aussi la science-fiction et les grandes aventures. Réfléchie, ambitieuse, gentiment folle, pleine de volume et truffée de détails, la pop électronique du Parisien a le futur délavé et la science-fiction amoureuse. Kraut, psychédélisme, musiques classiques et traditionnelles… Kraftwerk, Tellier, Katerine, Daho…999999999aurait pu s’immiscer dans la BO deDrive.Rétroglyphesa l’univers ouateux d’un Sofia Coppola.Castlemaureflâne avec un Mac DeMarco. Flavien Berger se promène à travers les fenêtres de son vaisseau, a des morceaux efficaces et concis (Brutalisme, Deadline, Maddy La Nuit) mais prend aussi un mélomane et malin plaisir à briser les formats et à jouer avec les textures. Y invitant même des sons du quotidien, bruits d’interrupteur, de betteraves en cuisson et de radiateur.Contre-tempsou l’immuable odyssée de l’espèce…

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