Primero: « J’ai appris à prendre des risques »
En attendant que l’Or du commun donne une suite à Sapiens, Primero s’est offert une courte échappée solo. L’occasion d’affiner toujours plus son propos. Entretien.
2020 n’aura pas été perdu pour tout le monde. Alors que le nouvel album des Bruxellois de l’Or du commun, pressenti pour cette fin d’année, se fait toujours attendre, ses membres se sont activés, chacun de leur côté. Si Loxley a retrouvé la radio (son émission tous les dimanches soirs sur Tipik), Swing a sorti lui l’EP ALT-F4 en début d’année, contenant notamment un titre avec Angèle qui a contribué à lui donner une visibilité supplémentaire. Primero a également pris l’air, en lâchant l’EP Serein. Au programme, quatre morceaux et un interlude, avec des productions signées Dee Eye, Ozhora Miyagi, mais aussi Phasm et PH Trigano – « mes deux béquilles, ils étaient derrière moi pour aboutir les morceaux, comme ils l’ont été sur le projet de l’ODC qui va arriver ». Si l’EP est court, Serein permet de confirmer la voie prise par le rappeur, de plus en plus personnelle, de plus en plus musicale aussi – « Cela fait un moment maintenant, y compris avec l’ODC. Mais c’est vrai que le fait, par exemple, d’avoir été avec Lous (& The Yakuza) pendant quelque temps, m’a familiarisé à un tas de trucs auxquels je n’étais pas forcément sensible avant – le fait, simplement, qu’en modifiant parfois tel accord à tel endroit emmène le morceau complètement ailleurs. »
Comment est né cet EP?
J’ai voulu profiter de la période un peu creuse. C’était l’occasion de revenir en proposant un petit format, court, cohérent. Un projet dans lequel je pouvais me montrer plus sincère, dans lequel les gens allaient aussi pouvoir se reconnaître peut-être plus facilement. C’est un EP carte de visite d’une certaine façon. Peut-être moins pour ici que pour la France. Avec l’album Sapiens, l’Or du commun y a gagné une nouvelle visibilité. Mais le public là-bas ne sait peut-être pas toujours bien qui est qui dans le groupe. Donc avant de revenir avec l’ODC, je voulais quand même glisser ce projet qui permet de mieux identifier mon nom et ma tête.
Précisément, comment se gère l’équilibre entre les carrières solo et le groupe?
Pour tous les groupes, c’est la grande question. On a toujours énormément d’amour pour le collectif. Mais en effet, les trajectoires solo menées en parallèle, celle de Swing en particulier, prennent aussi de la place. Il faut trouver le bon dosage, en segmentant davantage le temps et les agendas. On discute beaucoup pour que chaque chose puisse s’imbriquer. Cela demande de faire parfois des choix. Mais on y arrive.
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Le titre de l’EP, Serein, apparaît presque comme un pied de nez au climat anxiogène du moment…
Oui, c’est vrai (sourire). C’est la note finale que je voulais faire ressortir. Mais cela vient quand même après avoir exprimé pas mal de craintes, de difficultés, d’épreuves.
Sur le morceau-titre, tu arrives même à dire: « Si jamais tout ça se termine demain/Juste sur un coup de tête/Au moins, je pourrais dire que mine de rien/J’ai connu la vie de rêve ».
Ce n’est vraiment pas le plan (rires), mais avec le temps on apprend à relativiser. C’est étrange, une carrière d’artiste. A fortiori pour le moment, où pas mal de monde galère. En général, c’est le genre de vie dans laquelle il est difficile de voir à long terme, de se projeter. Et en même temps, c’est un mode de fonctionnement qui permet d’expérimenter des tas des choses, et qui continue de faire envie à plein de monde… Pour être clair, le rap a toujours été l’objectif. Mais le fait que cela se professionnaliste n’était pas forcément prévu. À un moment, on a choisi de foncer. Il a fallu s’adapter, et intégrer la dimension financière, par exemple. Tout à coup, vous commencez à en vivre. Ce n’est plus juste une passion, un cours de karaté le samedi matin, que vous pouvez arrêter quand vous voulez. Les choix que l’on peut faire deviennent plus conséquents. Et en même temps, je veux être… serein par rapport à ça. Je suis apaisé avec l’idée que, dans quelques années peut-être, ça s’arrêtera, qu’il faudra alors passer à autre chose. Mais ce n’est pas grave. Il s’agira de se réinventer. A priori dans quelque chose de créatif.
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Dans Longues heures, tu constates: « C’est toujours drôle lorsque la passion rencontre la cash money ».
Dans le fond, il n’y a pas une situation qui est mieux que l’autre. Au départ, quand vous vous lancez, vous n’avez absolument aucune contrainte, vous créez un truc très pur, quitte à se fermer au grand public. Mais avec la professionnalisation, vous apprenez plein de choses. Comme par exemple l’idée que formater un « produit » n’est pas forcément négatif, du moins pas jusqu’à un certain point. Vous comprenez mieux la manière dont les gens écoutent et consomment la musique, fonctionnent en suivant des codes. Les connaître, voire les utiliser, n’est pas automatiquement mauvais ou « sale ». Tant que vous ne tombez pas dans la recette qui ne bouge pas. Là, en effet, cela devient dommage.
Est-ce qu’un EP solo permet d’être éventuellement plus personnel?
Oui, sans doute. Cela m’a aussi été suggéré par certains. J’entendais bien que cela pouvait amener des choses intéressantes. Mais j’avais encore du mal à trouver la manière et surtout jusqu’où je voulais aller dans le dévoilement. Il y a la peur de blesser les autres ou de révéler des choses que j’aurais dû garder dans l’intimité. En fait, cela a déjà pu arriver sur un morceau ou l’autre. Mais en général, ce n’est pas quelque chose que je faisais beaucoup. Avec ce projet, je parle désormais beaucoup plus de moi. Et quand je vois le retour des gens aujourd’hui, cela me conforte dans l’idée que ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée. Il y a toujours des risques évidemment, mais aussi des bénéfices à tirer. À la base, je ne suis pas quelqu’un qui en prend beaucoup. Mais j’y prends goût.
« Je suis le casanier de la bande », dis-tu, toujours dans de Longues heures.
Oui, j’ai pu prendre des risques, mais toujours de manière très mesurée, jamais inconsidérée. J’ai quand même été chercher un diplôme, par exemple, avant de me consacrer entièrement au rap. On a calculé notre coup en quelque sorte. On aurait pu faire le pas plus tôt, en réfléchissant moins, en n’attendant pas d’avoir coché un certain nombre de cases.
Même si « on dirait le mec qui meurt pas dans la série » (Promenade)?
À la base, je suis quelqu’un d’assez sage, plutôt calme. Honnêtement, je ne fais pas trop de vagues. Mais à certaines périodes de ma vie, à l’adolescence notamment, en soirée par exemple, j’ai pu faire des choses qui ne me ressemblent pas vraiment. Tout le monde passe par là, par cette envie de sortir un peu des clous. J’ai pu faire des trucs où je me suis dit après coup que cela aurait pu très mal se terminer. J’ai parfois l’impression d’avoir un ange gardien, qui m’empêche de faire les mauvais moves.
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Dans le clip de Promenade, on te voit par exemple marcher en équilibre au sommet d’un immeuble assez emblématique du Sud de Bruxelles.
Je l’ai fait sans sécurité. Je sentais que j’étais assez stable et j’ai fait très attention. C’est un peu débile, mais j’avais envie que cela résonne avec le morceau. C’est un peu mon moment Au DD (rires).
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