Françoiz Breut: rencontre avec une musicienne bien trop rare

Françoiz Breut: "Je ne suis pas certaine qu'on comprend mieux les choses avec l'âge. Au contraire." © Simon Vanrie
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Tout flou, tout flamme. Cinq ans après Zoo, Françoiz Breut est de retour avec un nouvel album ludique et électronique, à la fois grave et léger. Entretien.

C’est une figure à la fois familière et discrète de la scène française. Familière, puisque cela fait plus de 25 ans maintenant que Françoiz Breut est rentrée en musique, presque par hasard, sur la pointe des pieds. à l’époque, elle se faisait encore appeler Françoiz Brrr. Le pseudonyme polaire collant, malgré elle, assez bien à l’image de la « nouvelle » chanson française du début des années 90 -raide, austère, loin des flonflons habituels. Il faut revoir par exemple le clip du tube Le Twenty-Two Bar de Dominique A: accompagnant son amoureux de l’époque, elle apparaissait droite comme un i, le visage figé, la peau diaphane, grattant sèchement sa guitare.

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C’était en 1995. Depuis, Françoiz est redevenue Breut. Mais a gardé le Z espiègle et joueur, de celle qui n’a, en fait, jamais voulu se contenter de l’étiquette chanson. On en trouve d’ailleurs très peu dans les playlists signées DJ Minoo (sic) qu’elle s’amuse à publier sur Spotify, mélangeant Four Tet et Sun Ra, les Joubert Singers et Tim Buckley. De la même manière, sa discographie perso n’a cessé de jouer les têtes chercheuses. Six albums en tout depuis l’éponyme Françoiz Breut en 1997, auxquels il faut ajouter le nouveau Flux flou de la foule, nouvelle réussite qui parvient à mêler légèreté et gravité, aventure sonique et évidence mélodique.

Née à Cherbourg, la néo-quinqua habite depuis plus de 20 ans à Bruxelles -il n’est pas rare de la croiser dans les rues du centre, toujours à vélo. L’autrice de BXL bleuette reçoit d’ailleurs chez elle, pas très loin de là où était érigé l’Alhambra, qui fut longtemps la plus grande salle de spectacle de la ville, avant d’être rasée et transformée en parking… Cette capitale en perpétuelle mutation, Françoiz Breut y fait encore allusion dans son nouvel album, sur le morceau Dérive urbaine dans la ville cannibale: « Oui, c’est bien ici… J’ai écrit ce morceau au moment des travaux du piétonnier et de tout le chaos que ça a provoqué. Je suis la première à revendiquer moins de voitures, mais je ne supportais plus cette ville davantage pensée pour des consommateurs que pour ses habitants. »

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Le morceau en question suit une ligne électronique et facétieuse -on pense volontiers à un groupe comme Telex. En général, les claviers ont la part belle sur le nouvel album. Il y a cinq ans, l’album Zoo montrait déjà la voie, produit avec Adrian Utley (Portishead). Flux flou de la foule a, lui, été conçu avec Marc Melià, originaire de Majorque, et le compatriote Roméo Poirier, rejoints en cours de route par François Schulz, vu chez Hoquets. Au départ, il était question d’enregistrer ensemble, dans la même pièce. « Mais c’est compliqué de rassembler tout le monde en même temps. Chacun a ses projets, est occupé par d’autres choses. Je ne leur reproche pas, le temps est une denrée précieuse. » Et puis sont arrivés la pandémie et un premier lockdown. « Une semaine avant le confinement, on s’y remettait enfin sérieusement… Au final, on a quand même réussi à travailler. On se voyait, masqués, à deux, trois maximum. Mais parfois, ils avançaient sans moi. J’étais obligée de lâcher prise. »

Est-ce que c’est ce « dispositif » qui a amené le côté plus électronique du disque?

Non, pas forcément. Les claviers étaient présents dès le départ. Déjà sur le dernier disque, je commençais à m’éloigner un peu des guitares, même si elles restaient très présentes en concert… Le fait est que chaque disque est un recommencement. D’autant plus que je travaille souvent avec des gens différents. Je n’ai pas l’occasion de m’habituer à une manière de faire. C’est pour ça que chaque disque demande du temps. Et puis aussi, dans ce cas-ci, le fait que j’ai traversé une période où j’avais un peu perdu confiance en ce que je faisais. J’imagine que c’est le lot de tous les artistes qui font ça depuis longtemps. Est-ce que je continue à raconter des choses? À quoi ça sert? (rires)

Ça ne s’arrange pas avec le temps justement?

Disons que je travaille dessus! (rires) Au niveau de l’écriture, j’estime que je suis encore assez novice. En gros, cela fait seulement dix ans que j’écris.

Nom: Breut; prénom: Françoiz, avec le Z espiègle et joueur de celle qui n'a jamais voulu se contenter de l'étiquette chanson.
Nom: Breut; prénom: Françoiz, avec le Z espiègle et joueur de celle qui n’a jamais voulu se contenter de l’étiquette chanson.© Simon Vanrie

Il se passe souvent pas mal de temps entre vos albums. Dans ce cas-ci, il s’est écoulé cinq ans. À côté de la musique, vous êtes également illustratrice. Au fond, qu’est-ce qui vous pousse à vous lancer dans un nouveau disque?

Pour le dire le plus simplement possible, je ne suis rien sans musique. Elle me porte. Elle me guérit. Si je n’en écoute pas pendant deux jours, je me sens vide. Alors que j’ai quand même d’autres choses pour me remplir. J’ai ma famille, mon travail d’illustratrice, je lis aussi énormément… Mais la musique me permet d’échanger. Je partage des bribes de ma petite analyse du monde. C’est aussi bête que ça. C’est aussi une énergie entre les gens. On s’en rend bien compte aujourd’hui que les salles de concerts sont fermées. À cet égard, honnêtement, je ne peux pas me plaindre: j’ai un toit, j’ai à manger, j’ai même pu continuer à travailler. Mais ce qui se passe est évidemment très grave. Donc à quoi sert la musique? Je pense que ça amène une autre vision des choses, qui pousse à réfléchir. En même temps, je veux vraiment m’amuser. Je n’ai pas envie de plomber les gens, surtout pas.

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Déjà le titre de l’album est assez ludique en soi…

Vous pourriez le dire trois fois de suite? (rires) C’est toujours compliqué de trouver un titre, à partir du moment où je ne fais pas de disque-concept avec un fil rouge. Je fais plutôt des albums, comme on parle d’albums photo, qui rassemblent des clichés disparates tirés de différents moments de la vie. Dans ce cas-ci, l’allitération du Flux flou de la foule me faisait rire. ça parle aussi du flou que l’on a devant nous, le manque de perspective, qu’on expérimente depuis un an. Ce qui est tout de suite moins drôle (rires).

De loin, un morceau comme Juste de passage semble évoquer la route et le voyage, à un moment justement où chacun est appelé à rester chez soi, ou en tout cas à limiter ses déplacements. Alors qu’en fait, il aborde la « crise » des migrants, c’est ça?

En fait, l’idée est partie d’un concert que je partais faire à Paris. On traçait dans notre petit camion. Je me disais que c’était quand même très cool. Que nous, nous pouvions circuler sans souci: personne ne nous embête, on passe partout, on est blancs, on fait ce qu’on veut… À partir de là, j’ai eu envie de rendre hommage à ces gens qui sont sur la route, et ceux qui se mobilisent pour les aider. Mais qui suis-je pour me permettre ça? (Elle marque une pause, prend une grande inspiration) Ce n’est pas que j’ai mauvaise conscience avec ce titre, mais je vois ça de loin. Certes, je suis bouleversée comme tout le monde. Mais je n’ai pas invité des migrants à venir dormir chez moi, par exemple. Je suis juste admirative de tous ces « héros », comme ces gens de la plateforme citoyenne qui ont organisé toute cette aide, à la place d’un gouvernement qui ne fait rien…

Zoo est sorti en 2016. En cinq ans, on peut avoir l’impression que le monde a terriblement changé. C’est devenu compliqué pour un artiste de se tenir à l’écart de ces bouleversements?

Oui, bien sûr. Déjà quand on a commencé la tournée précédente, on est partis le lendemain des attentats de Bruxelles… Après, j’ai toujours eu un peu de mal avec cette histoire d’engagement. L’artiste peut prendre ce rôle, c’est sûr, mais ce n’est pas le seul. Et dans tous les cas, ce n’est pas obligatoire. C’est important de dire les choses, en imaginant que ça pourra éventuellement amener certains à changer de point de vue. Mais après, il y a des gens qui ont la force de prendre la parole, mais qui arrivent aussi à être sur le terrain. Pour moi, c’est quand même là qu’est le véritable engagement, dans la rue. Même manifester demande une certaine dose de courage, vu la répression actuelle -il faut avoir envie de se retrouver menotté dans une caserne…

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Le morceau La Fissure, en duo avec Jawhar, évoque la question du nucléaire.

Je l’ai écrit au moment où j’entendais parler des problèmes à Tihange. Un jour, on dit qu’on va arrêter; le lendemain, on vous explique que finalement, les centrales vont être prolongées, qu’on va réparer les fissures… C’est fou quand on y pense, non? Là, on vient de commémorer les dix ans de la catastrophe de Fukushima… Mon père travaillait dans les sous-marins nucléaires, mais dans le côté électronique. Pas très loin de chez nous, il y avait également ce centre de traitement des déchets nucléaires (l’usine de retraitement de La Hague, NDLR). Une usine toute blanche, toute clean, pareille aux autres, mais planquée au bout d’une terre. Et puis pas loin, une centrale nucléaire de production d’électricité. Il y a eu quelques incidents. Forcément. J’ai toujours trouvé ça très flippant.

La Chute des damnés de Rubens, pour inspirer le morceau du même nom.
La Chute des damnés de Rubens, pour inspirer le morceau du même nom.© La chute des Damnés, 1620, Pierre Paul Rubens

Un morceau comme La Chute des damnés, c’est un peu le grand incendie. C’est votre version de l’Apocalypse, c’est ça?

Oui, je confirme que ça parle de la mort (rires). À un moment, je ne savais plus trop sur quoi écrire. J’en avais un peu marre du français, de cette étiquette « chanson » que je continue de traîner. Je n’avais plus trop d’inspiration. C’est là que la peinture est venue à ma rescousse. En l’occurrence, La Chute des damnés est un tableau de Rubens que j’avais analysé quand j’étais aux Beaux-Arts. Ce n’est pas son oeuvre la plus connue, mais elle est assez « fantastique », avec la figure du diable, celles des anges, et puis des corps d’hommes, de femmes et d’enfants qui tombent tous dans les flammes. Dit comme ça, c’est assez horrible. Mais au départ, c’est plutôt un tableau qui me faisait rire. Dans le même genre, il y a également la chanson Le Fantôme du lac qui m’a été inspirée par une représentation d’Ophélie, le personnage d’Hamlet, par le peintre anglais John Everett Millais. Le tableau a un côté très doux. Le corps d’Ophélie est couché dans le lit de la rivière, entouré de nénuphars. C’est une sorte de retour à la nature, et une manière de voir la mort de manière très apaisée, que j’avais envie de mettre en chanson.

Un tableau peut donc amener un texte. Quoi d’autre? Quelles sont les étincelles qui peuvent potentiellement conduire aux paroles d’un morceau?

Ça part dans tous les sens. Je note beaucoup dans des carnets. Mais sans toujours bien me souvenir de ce que je voulais dire. En fait, c’est mon inconscient qui travaille, moi, je ne trouve rien du tout (sourire). Un jour, par exemple, je suis retombée sur ces mots « odeurs laponnes« . Je ne me souvenais plus du tout pourquoi j’avais écrit ça! Au final, ça m’a amené le morceau Comme des Lapons, qui a également été le point de départ du disque. Derrière ce titre, il y a évidemment cette envie de partir vers un pays très lointain, où j’espère vraiment aller un jour. Mais de là, le thème a fait son chemin pour arriver à cette vision de grande étendue blanche et, par association, de page blanche. Cette idée de pouvoir tout recommencer à zéro. Finalement, ça tombait bien. Ça correspondait à ce qui se passe aujourd’hui, à ce flottement dont on pourrait profiter pour ré-imaginer comment vivre dans ce monde.

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Métamorphose, par contre, n’a rien à voir avec le célèbre livre de Kafka?

Non, pas trop. Ça parle plutôt des gens. Des amis qui changent parfois complètement en très peu de temps. Ça peut être douloureux. Il faut faire avec ou s’en éloigner. Mais c’est la vie, il faut s’habituer au fait que tout change tout le temps.

Vous-même avez beaucoup changé?

Oui, sûrement, comme tout le monde. J’en parle dans Mon dedans VS mon dehors. Il y a l’âge tout simplement. J’ai toujours envie de faire plein de choses, et en ce moment, je n’ai peut-être jamais eu autant de projets sur le feu. Mais physiquement, il faut que je fasse attention. J’ai mon énergie de femme de 51 ans. Et la sagesse qui va avec? Je ne suis pas certaine que je comprends mieux les choses. Au contraire. Quand on vieillit, on dispose d’encore plus d’infos, le disque dur se remplit. Tout est de plus en plus complexe. Quelque part, j’y vois plus flou que jamais.

Françoiz Breut, Flux flou de la foule, distribué par Trente février/Pias. ****

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Françoiz Breut: rencontre avec une musicienne bien trop rare

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