Charlène Darling: love, etc.
La Parisienne Charlotte Kouklia, alias Charlène Darling, bouscule la chanson en français sur Saint-Guidon. Un album d’amour au tempérament singulier et aux charmes audacieux.
Après avoir proposé un bar de Saint-Gilles, elle s’est ravisée. Elle a finalement fixé rendez-vous au Vaillance, un troquet dans son jus (à ne pas confondre avec la pizzeria), du côté de Saint-Guidon. La station de métro, le quartier et le sacristain parfois surnommé « le pauvre d’Anderlecht » ont donné leur nom au premier album officiel de Charlène Darling. Mais ne vous y méprenez pas. La jeune trentenaire Charlotte Kouklia est française. « J’ai failli m’installer à Bruxelles quand j’avais 17 ans mais j’ai pris peur et décidé de ne pas venir en Belgique parce que j’ai flippé à Saint-Guidon pendant Noël », avoue-t-elle, toute pétillante sous sa tignasse frisée. Quelques années plus tard, alors qu’elle compose dans la capitale de l’Europe, la jeune femme se trompe de tram et atterrit à nouveau à l’ombre du parc Astrid… « TG Gondard, qui sortait ma musique en cassettes, m’a dit: « Mais c’est trop beau Saint-Guidon. Il y a le jardin des maladies, la Maison d’Érasme… » J’ai filé la métaphore. »
Charlotte a d’abord écrit un long texte. Des paroles fleuves qui ne s’arrêtaient jamais. Trop prog à l’enregistrement (« la version la plus courte faisait 12 minutes »), la chanson n’a pas fini sur le disque. Saint-Guidon, une histoire de rendez-vous manqué donc à laquelle devrait échapper cet audacieux et multiple disque en français qui lui a pris quatre ans de sa vie.
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Quand on la rencontre, Charlotte la bourlingueuse revient d’un mois au Mexique avec son projet post-punk Rose Mercie. « Une fille du groupe avait emmené son bébé d’un an avec elle », glisse-t-elle au sujet de l’aventure. Née à Paris en janvier 1988, la jeune femme ne grandit pas dans une famille de musiciens mais cultive très tôt une certaine curiosité culturelle. Le père bosse sur des musées régionaux, la daronne est graphiste et les grands-mères ont la fibre artistique. L’une fait dans la sculpture, joue du piano. L’autre est passionnée de littérature. À seize ans, Charlotte commence à fréquenter les concerts. Elle fouille, lit Rock & Folk, télécharge un max et va chercher des disques à la médiathèque. « On assistait aux sessions radio gratuites de France Inter et on se faisait mettre sur des listes d’invités. J’ai vu John Cale, David Byrne, les Stranglers… » La petite Kouklia aime prendre la plume. Elle écrit sur les concerts, rédige des nouvelles. « Dedans, il y a ma vie, des éléments de fiction et des histoires d’artistes. » À l’époque, elle s’est prise de passion pour les Riot Grrrl, veut un groupe de filles et tombe sur une petite annonce dans le magazine cher à Philippe Manoeuvre. « Cherche à monter groupe de meufs. Influences: The Shangri-Las, Sonic Youth, Bikini Kill… »
Avec Mariette Auvray, devenue depuis vidéaste-documentariste, et Marine Normand, plus tard journaliste musicale notamment passée par Les Inrocks, Charlotte monte Pussy Patrol. Elle apprend à jouer de la batterie sur des cartons de Pizza Hut. « On jouait très très mal. À un moment, elles ont voulu plus joli. Moi plus crade. » Fin de l’histoire. S’ensuivent les tâtonnements, l’exploration d’une veine plus folk, l’enregistrement au dictaphone, le chant a cappella, l’ordinateur, GarageBand, les CD-R autoproduits… Le Chilien lo-fi Oso El Roto l’aide à vaincre sa timidité. Avec la formation La Ligne Claire, la Parisienne prend goût à l’improvisation.
Chansons de jeune fille
Méga fan de Brigitte Fontaine, Charlotte se met à travailler avec Mim, un fou du son qui, à Bruxelles, a lancé L’Amour aux 1000 parfums. Une maison de production « pour aider à faire sonner ». Elle partage son amour pour Alain Bashung, Smog et plus largement Bill Callahan. « Mim est un Phil Spector d’aujourd’hui, avec un avis sur tout et les moyens modernes à disposition. » Deux idées très fortes se dégagent: assumer le français et braver le lo-fi qu’elle reconnaît avoir utilisé comme un filtre. À bord, elle embarque notamment des potes de son petit frère: Adam Karakos et Thomas Schlaefflin de Geto Tropic. C’est elle qui les présentera à l’Australien Nathan Roche, le mec d’une amie, avec lequel ils formeront le génialement branque Villejuif Underground. Elle invite aussi Rachel Horwood de Trash Kit, sa batteuse préférée, un groupe réunionnais, les Statonells, ou encore une vieille connaissance, Marine Ventura, avec qui elle communique en musique depuis le lycée… Quand elles s’envoyaient des sons via Internet sans se fréquenter à l’école de la journée.
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Saint-Guidon est un album de chansons d’amour. Même quand c’est son frère qui prend la plume. « C’est une vision plus affectueuse. La seule du disque pour le coup qui n’est pas fantasmagorique. » Il est enregistré en six jours à Bruxelles dès 2015. Mais pendant deux ans, Charlotte et Mim mijotent, malaxent, chipotent, fignolent… Elle revient mettre en boîte des claviers, des guitares, des voix. Tout ça dans un emploi du temps déjà bien chargé. On allait oublier: au même moment, à Paris, elle donne des cours de linguistique et de phonétique et travaille sur l’agressivité de la parole des hommes politiques comme en atteste l’intitulé de sa thèse: Dominance, hostilité et expressivité vocale: étude perceptive et acoustique du conseil municipal de Montreuil…
Maintenant qu’elle a terminé son doctorat et enfin sorti Saint-Guidon, Charlotte cherche à s’installer à Bruxelles. « C’est la fin d’une longue et lente gestation. Ces chansons de jeune fille me parlent toujours. On a mis des vrais et des faux violons. Des couches et des couches. On s’est rendus fous mais c’était un plaisir. À un moment, j’ai eu l’impression de faire un disque de variète. Au final, c’est plutôt un album lo-fi avec un micro en or… »
Le 12/01 au Pleasure Island (Ostende) et le 15/01 au Brass (Bruxelles).
Saint-Guidon, distribué par L’Amour aux 1000 parfums. ****
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