Critique scènes: Le commandement d’Izzeldin Abuelaish
Reporté de quelques mois à cause du Covid, Je ne haïrai pas rencontre enfin le public au Théâtre de Poche. Mise en scène par l’infatigable Denis Laujol, Deborah Rouach y porte seule le témoignage d’un médecin palestinien extra-ordinaire.
Il y a des destinées objectivement hors du commun et des forces de caractère qui ne peuvent susciter que le respect. La destinée et la détermination d’Izzeldin Abuelaish sont de celles-là. Palestinien né dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza, il a subi dans sa vie tant de privations, d’injustices, d’humiliations et de blessures intimes qu’il aurait pu, presque « légitimement », en nourrir une haine féroce de l’ennemi. Au lieu de ça, persuadé que ce n’était pas la voie à suivre, il s’en est tenu à ce commandement personnel, « Je ne haïrai point », qu’il a choisi comme titre du livre qui raconte son parcours: de gamin sans le sous à premier médecin palestinien formé en Israël, gynécologue et obstétricien spécialiste des questions de stérilité persuadé que la volonté de guérir ne connaît pas de frontière.
Ce parcours, qui bascula le 16 janvier 2009 quand trois de ses filles périssent avec une de ses nièces dans leur propre maison sous les tirs israéliens, et ce livre ont touché le metteur en scène Denis Laujol (Le Porteur d’eau, Fritland, Le Champ de bataille) qui a souhaité les transposer au théâtre.
Je ne haïrai pas, créé au Théâtre de Poche, est un seul en scène. Et contrairement à ce qu’on pouvait attendre, ce n’est pas un comédien qui endosse la parole d’Izzeldin Abuelaish, mais une comédienne, Deborah Rouach. Parce que l’option d’adaptation de Denis Laujol est de mettre en avant les femmes disparues de la vie du médecin palestinien: sa mère Dalal, sa femme Nadia, ses filles Bessan, Mayar et Aya et sa nièce Noor.
Initiée par d’apaisantes images de vagues faisant écho à la couverture du livre, brutalement déchirées par le coup de fil qu’Izzeldin Abuelaish donna en direct à la télévision palestinienne juste après l’attaque tragique du 16 janvier 2009, Je ne haïrai pas parvient, par la voix de ces femmes, à synthétiser sa vie à travers plusieurs épisodes marquants. Jusqu’à une solide rupture où Deborah Rouach révèle son tempérament volcanique dissimulé sous son apparence de frêle jeune fille.
Je ne haïrai pas est un fameux tour de force, avec de l’arabe dans le texte et d’émouvantes conversations téléphoniques par-delà la mort, auquel on aura peut-être ce seul reproche à faire : en plaçant dans la bouche de ces femmes les mots d’Izzeldin lui-même, les personnages manquent au final d’un point de vue propre et perdent en épaisseur. Ce qui n’enlève rien à l’importance de ce témoignage, livré avec beaucoup de sensibilité.
Je ne haïrai pas: jusqu’au 26 juin au Théâtre de Poche, reprise annoncée du 10 au 29 octobre 2022.
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