Tintin en Amérique en couleur: les rapport de Hergé avec les Etats-Unis
Moulinsart publie en solo une version colorisée de Tintin en Amérique. Incongruité ou remise à jour, l’initiative permet au moins de se pencher sur les rapports que Hergé entretenait avec les Etats-Unis.
La société Moulinsart, détentrice des droits d’exploitation de l’oeuvre de Hergé, ne recule décidément devant rien pour poursuivre la commercialisation des Tintin (et ainsi repousser loin leur basculement dans le domaine public), au grand dam des puristes qui risquent d’en avoir les yeux qui pleurent: on peut désormais voir, dans des cases de Tintin, des dégradés de couleurs faits à l’ordinateur (1). Une incongruité quand on sait que lesdites cases ont été dessinées il y a quatre-vingt-huit ans, et déjà une première fois mises en couleurs par Hergé lui-même dix ans plus tard!
Moulinsart poursuit ainsi, après Tintin au pays des Soviets en 2017 et Tintin au Congo en 2019, la mise en couleurs des neuf premières aventures du petit reporter, telles qu’elles parurent dans Le Petit Vingtième, alors en noir et blanc. Cette (sur)exploitation de l’oeuvre de Hergé s’explique par son inhabituelle diversité éditoriale, qui vit Hergé multiplier les éditions, les formats et les versions de ses Tintin. Ainsi ce Tintin en Amérique, publié une première fois en 1932, fit l’objet dix ans plus tard d’une refonte totale à la demande de Casterman, qui devint alors son éditeur officiel – et qui le reste. Non seulement Hergé en remonta tout le découpage pour passer de 120 à 62 planches, retouchant de nombreuses cases, mais il les mit également en couleurs en usant de sa fameuse technique d’aplats, sans le moindre dégradé. Le parfait complément de son style ligne claire désormais standardisé.
Et de cinq!
Cette deuxième version de Tintin en Amérique en était en fait… une troisième, puisque un an plus tôt, Hergé avait déjà créé une version intermédiaire qui, elle, fut publiée, en néerlandais, dans Het Laatste Nieuws! Une version de plus, que l’on peut cette fois découvrir en intégralité – mais traduite en français, ça en fait cinq, de versions – dans la monographie (2) que Philippe Goddin, le biographe officiel de Hergé auprès de la SA Moulinsart, vient, lui aussi, d’éditer, consacrée non seulement aux tribulations de ce Tintin en Amérique, mais également aux relations qu’a entretenues Hergé tout au long de sa vie avec ce pays qu’il a à la fois fantasmé et très critiqué.
De son enfance biberonnée aux westerns à sa découverte dans les années 1970 de l’avant-garde artistique new-yorkaise, Hergé aura vécu une relation d’amour-haine évidemment marquée par cet album encore hésitant stylistiquement et peu documenté, dans lequel il est passé lui-même, de son propre aveu, à côté du sujet qui l’intéressait vraiment: les Indiens. Parmi les innombrables documents et inédits que Philippe Goddin a pu extirper des archives, on découvre ainsi un début de synopsis, Peaux-Rouges, écrit en 1957 et qui aurait pu voir Tintin retourner aux Etats-Unis. Un projet abandonné et qu’on ne lira donc jamais, ni en noir et blanc, ni en couleurs, ni en version colorisée.
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