Ilan Manouach: “La résistance aux BD synthétiques est liée à des enjeux de pouvoir”
C’est la panique dans le petit monde de la BD: l’intelligence artificielle (IA) serait le clou du cercueil des auteurs et autrices, sur le point d’être remplacés par des machines! Depuis l’apparition de logiciels de création d’images tels Midjourney ou Stability AI pilotés par des IA, elles-mêmes nourries par des millions d’images et de datas collectées (sans souci pour le droit d’auteur) sur le Net, des millions d’utilisateurs se sont transformés en “créateurs digitaux” capables de produire ce qui ressemble à de la bande dessinée. Une menace numérique qui désormais vient également d’en haut: au Japon, une suite au Black Jack d’Osamu Tezuka est annoncée pour bientôt, générée par des IA, dix ans après la mort de son auteur. Une révolution qui provoque évidemment des réactions autres que simplement outrées sur les réseaux sociaux: chaque jour, un opérateur (bibliothèques, festivals, associations d’auteurs) annonce qu’il s’interdira toute promotion ou diffusion de “BD sous AI”. D’autres voix, bien plus rares, s’élèvent au contraire pour saluer cette (r)évolution, dont celle du chercheur et auteur Ilan Manouach, spécialiste de la “créativité computationnelle” et auteur de dizaines de livres, BD et essais sur le sujet, dont trois d’ores et déjà co-créés avec l’IA. Il publie aujourd’hui une longue carte blanche, accessible sur notre site www.focusvif.be, au titre limpide: Arguments en faveur de la bande dessinée d’IA. Explications.
Le dessinateur Martin Panchaud: “La BD a surtout besoin de bons narrateurs”
L’infographie, et derrière elle, les intelligences artificielles sonneront-elles le glas de la bande dessinée? Pour beaucoup d’amateurs de “beaux dessins” courroucés, le ver est déjà dans le fruit: les (bonnes) sorties indés tenant plus de la souris que du crayon se multiplient. Par exemple, Dum Dum du Polonais Lukasz Wojciechowski (éditions Çà et là), qui ne travaille que sous autoCAD, ou Grandes kitty z97 d’EMG (Tanibis), tout en cubes numériques. Et on ne parle même pas de tout ceux qui s’expriment sur la Toile, tout en n’y connaissant que pouic en dessin... Le comble: le Festival d’Angoulême a remis cette année son prix le plus prestigieux à La Couleur des Choses, du Suisse Martin Panchaud (aussi chez Çà et là), un album entièrement composé de ronds, de traits et de pictogrammes et réalisé en DAO (dessin assisté par ordinateur). Mais si l’auteur helvète mène la souris mieux que le crayon, il manie aussi la bande dessinée mieux que personne. La BD serait-elle à ce point mourante? À en discuter avec Panchaud, on en vient à penser l’exact contraire: le 9e art se réinvente dans la data.
“Lisez Crepax: l’érotisme, c’est la vie!”
“Cet essai est né d’une danse avec des personnages de fiction, d’étreintes avec des figures de papier qui me hantent depuis l’adolescence”, explique la philosophe et figure des lettres belges Véronique Bergen en ouverture de son essai, le premier en français, consacré à Guido Crepax. Crepax? Un grand maître italien du 9e art, né en 1933, mort 70 ans plus tard, et qui occupe comme elle le souligne “une place singulière dans la bande dessinée italienne et internationale de la deuxième moitié du XXe siècle”, puisqu’il doit être un des rares dont on trouve les œuvres tant dans les bibliothèques des esthètes sophistiqués que dans celles des vieux libidineux! Connu pour sa série Valentina qu’il a menée toute sa vie dès 1965, et, surtout, pour ses récits érotiques entre autres adaptés de Sade et marqués par des jeux sado-maso souvent extrêmes, Crepax ne jouit pas, en France ou en Belgique en tout cas, de la reconnaissance et du retentissement d’un Manara ou d’un Pratt auprès du grand public. Grave erreur selon Véronique Bergen, qui souligne, comme d’autres avant elle, les révolutions graphiques et narratives marquées par les années 60 et inventées par ce grand maître du noir et blanc, mais aussi -et surtout- l’incroyable modernité des thèmes et des approches de l’artiste. Bref, un auteur mâle mais pas alpha qui pourtant sent le souffre aujourd’hui... Ce qui n’était pas pour déplaire à notre autrice, qui n’a rien perdu de son esprit punk