Les BD du petit Moutier s’exposent pour la première fois chez Art et Marges

Norbert Moutier en 1957, avec une de ses créations. © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

De 1946 à 1960, le petit Norbert Moutier a compulsivement créé de ses mains des centaines de fascicules de bande dessinée qu’il n’a jamais montrés. Un trésor rare d’art spontané retrouvé il y a quatre ans sur un marché aux puces, à voir d’urgence chez Art et Marges.

C’est le genre de découverte qui ne laisse pas insensible. Un trésor qui a traversé le temps et les éléments, qu’on manipule avec des gants et qu’on regarde avec des étoiles dans les yeux. Ce fut le cas de votre serviteur il y a quelques mois, lorsque Xavier Girard, le “découvreur” de la collection Norbert Moutier, est passé par Bruxelles, une valise remplie de quelques exemplaires encore épars pour les montrer à quelques happy few tout heureux. Si Vincent Vega et Jules, dans Pulp Fiction, avaient été fans de BD ou de comics, sûr que leur petite mallette aurait contenu quelques fascicules -à chaque fois uniques!- de la “collection Aventures” du petit Norbert: Aventures, Beppo, Démonio, Teppy JimDes créations dessinées et façonnées à la main par un enfant a priori pas comme les autres. Pour être précis, 972 “éditions” et 14 000 pages manuscrites (!) soigneusement archivées et numérotées par la maman de Norbert, et qui ne seront sorties du cocon familial qu’à la suite de la mort de ce dernier, en 2020. Toutes ses affaires et archives se retrouvent alors littéralement à la rue après le passage de brocanteurs dans sa maison d’Orléans. Heureusement que Xavier Girard, professeur d’art, passait ce jour-là par le marché aux puces.

Ce matin-là, un brocanteur déballe des milliers de magazines de bande dessinée des années 40 à 70. Des collectionneurs se les arrachent. Au sol, à l’écart du stand, un petit carton se désespère de trouver acquéreur. Émergent quelques fascicules fabriqués artisanalement: les couvertures en sont dessinées maladroitement à la plume et à l’encre. Dessous, des enveloppes de papier kraft renferment probablement des productions de même facture. Le carton en est plein. Un habitué des puces se signale. Il sait que toute la marchandise provient de la maison d’un certain Norbert Moutier, décédé en début d’année. De retour à la maison, nous découvrons le contenu des enveloppes: des centaines de fragiles feuillets aux couleurs parfaitement conservées y sont archivés avec le plus grand soin en séries homogènes.Et malgré le peu de ratures, l’absence de crayonnés et la rigueur du façonnage, aucun doute n’est plus possible: ces illustrés ne sont pas des reproductions mais bien des œuvres originales. En quelques jours et en faisant le tour des brocanteurs et des vendeurs de papier d’Orléans, Xavier Girard met la main sur 37 enveloppes numérotées, contenant 972 fascicules signés Norbert Moutier, datés de 1946 à 1960, mais aussi un lot de 600 négatifs de photos de famille, des cahiers de dessin, quelques inachevés. Un trésor. À découvrir en partie depuis quelques jours et pour deux mois, au Musée Art et Marges de la rue Haute à Bruxelles, voué à l’art outsider ou brut.

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Corpus exceptionnel

L’étude et l’analyse de la collection Norbert Moutier n’en sont qu’à leurs débuts, et Xavier Girard compte bien s’y consacrer -il y a un an encore, il dénichait cette fois “des centaines de disques translucides comportant 3 à 5 “vues” dessinées minutieusement, adaptations de ses bandes dessinées pour le dispositif de projection”. Une évolution de l’image dessinée vers l’animée à l’âge de 19 ans qui éclaire aussi la suite de son parcours, puisque Norbert Moutier n’était pas tout à fait un inconnu. S’il devient d’abord comptable, Norbert Moutier va s’occuper d’un ciné-club et créer à la fin des années 70 deux fanzines, Monster Bis et Le Petit Bédéraste du XXe siècle, consacrés l’un au cinéma bis voire Z -Moutier réalisera lui-même quelques films du genre-, l’autre à la bande dessinée. Il tiendra même une librairie-ciné-club à Paris, le BD-Ciné. Mais il n’avait a priori jamais montré ses propres bandes dessinées à personne, si ce n’est à sa mère, très impliquée, et à son grand-père, éditeur et auteur de théâtre populaire.

La collection Norbert Moutier est sur bien des points exceptionnelle, par son ampleur, sa conservation et sa méticulosité. Mais aussi parce qu’elle “matérialise le rapport passionné d’un jeune lecteur avec la forme périodique de la bande dessinée d’après-guerre; Norbert rejoue un vaste ensemble de titres de presse publiés à l’époque, récits d’importation et bandes dessinées fabriquées en France largement inspirées par l’édition américaine”, s’enthousiasment ainsi les membres du Comics Research Group de l’Université de Gand, qui travaillent justement, dans une vaste approche interdisciplinaire soutenue par des fonds européens, sur le rapport, passionnant et fascinant, entre enfance et bande dessinée. L’exposition Off-Comics qui se tiendra à Gand dès le 2 mars au musée Dr. Guislain montrera elle aussi un petit échantillon de cette collection à nulle autre pareille.

N’appelez pas ça art brut Highlights #4 » – Collection Norbert Moutier. Jusqu’au 21/04/2024. Musée Art et Marges. Rue Haute, 134 – 1000 B. www.artetmarges.be

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