Critique | BD

Nouveau départ pour la saga « Seuls »

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© éditions Rue de Sèvres

Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti, éditions Rue de Sèvres

Seuls - t. 14: Les Protecteurs

56 pages

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© National
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti relancent Seuls, leur série à succès, l’un des derniers joyaux du genre au sein de la BD franco-belge dite tout public. Un 14e tome en forme de renouveau plein d’énergie, et un“Big Crunch après le Big Bang”.

C’est un des gros problèmes, certes de luxe, qui menacent les séries de bande dessinée à succès, à suivre et “tout public”: parfois, le lecteur qui grandit se lasse et lâche l’affaire. Même chose ou presque pour les auteurs. “Une fausse routine s’installe autour d’une série qui vit sur sa réputation et n’est en réalité plus aussi lue qu’avant”, explique Fabien Vehlmann, le scénariste de Seuls, de retour, en force, aux affaires (on attend de pied ferme, en mars, sa Cuisine des ogres avec Jean-Baptiste Andréae au dessin). Un syndrome qui menaçait sa success story menée depuis 18 ans avec Bruno Gazzotti: treize albums chez Dupuis, un incontournable du journal de Spirou, 3 millions d’exemplaires vendus, une adaptation ciné… L’arbre du succès qui cachait la forêt “d’un risque artistique vital”: “On avait atteint un palier, comme un vieux couple qui ne se regarde plus. On avait besoin d’un coup de pied au cul. Il nous fallait retrouver cette idée d’artisanat d’art pour renouer avec les ambitions de Seuls et retrouver l’énergie. Je crois que c’est le cas avec ce tome 14, et le tome 15 qui sortira presque dans la foulée, en fin d’année.”

Un nouveau départ donc, dont le petit lecteur de 10 ans, cœur de cible de la série, ne remarquera peut-être pas un détail: rien n’a changé sur la maquette de sa série fantastique préférée, partie comme “une robinsonade urbaine avec des enfants”, si ce n’est le nom de l’éditeur –Rue de Sèvres a remplacé Dupuis. Et ça aussi, ça change tout en termes de dynamique, à l’image de ce nouveau tome très réussi.

Melting-pot pop

Près de deux ans après la sortie du 13e et donc dernier album chez Dupuis, revoilà donc la bande à Dodji, Leïla, Camille, Yvan et Terry, relancée dans un nouveau cycle d’aventures, le quatrième d’une saga qui en comptera cinq pour 22 albums au total -“la destination est assez précise dans nos têtes, pas encore tout à fait le chemin”. Et il s’en est passé des choses depuis le premier jour, et ce pitch d’enfer, qui a vu, lors de “La nuit des anges”, cinq enfants se réveiller dans une ville totalement désertée par les adultes. La guerre menace désormais Les Limbes, dans un vaste combat entre Premières et Dernières Familles, guerre qui empêche l’ouverture des Portes du Paradis -car oui, spoiler du premier cycle, tous ceux ici présents sont morts, mais pas encore éteints. Et nos cinq enfants de Fortville, tout en apprenant à apprivoiser leurs super-pouvoirs respectifs et découvrant -enfin!- des éléments de leur passé, vont avoir à affronter de nouveaux adversaires spectaculaires, tels les Séraphins, les Charbonneux ou les Protecteurs, des statues uniquement animées par les cibles qu’elles doivent éliminer… Sans oublier le retour du terrifiant enfant-miroir, qu’on avait plus croisé depuis six albums!

On le comprend, en treize tomes et dix-huit ans, Fabien Vehlmann s’est offert avec Seuls un “Big Bang créatif” extrêmement généreux, “peut-être trop”, qui allait puiser à de multiples sources de la pop culture contemporaine: un peu de Robinson donc, mais surtout beaucoup de Hunger Games ou de Sa Majesté des Mouches, du récit post-apocalyptique et survivaliste, avec ou sans zombies, de la mythologie et même du super-héros. Le tout joliment emballé par le trait semi-réaliste et presque “old school” d’un Gazzotti rafraîchi et une mécanique narrative qui lorgne cette fois vers les séries américaines, comme il l’avait déjà brillamment exécuté dans Le Dernier Atlas, la meilleure minisérie BD de la dernière décennie.

Fabien Vehlmann avait vu grand avec Seuls, presque trop: “Il est temps de passer au “Big Crunch” après ce “Big Bang” qui avait un foisonnement, une générosité un peu bordélique, admet-il lui-même. On commence cette fois à ré-ordonner, à relier quelques fils et à revenir à l’essentiel de ce que l’on veut raconter dans ce récit initiatique et feuilletonnant, parfois à l’extrême. Et tout le monde devrait s’y retrouver, du “vieux” lecteur qui revient à une de ses madeleines -je commence à en croiser!- au jeune lecteur qui entrera dans la série par ce tome.” Trois planches de résumé viennent en effet ouvrir ce quatrième cycle, histoire de remettre les choses à plat et encore une fois de repartir d’un bon pied après “un divorce à l’amiable” et un air du temps qui a lui aussi évolué, au grand bonheur de Vehlmann, vers encore plus de réflexion sur les stéréotypes de genre et de représentation.

Ce nouvel élan amènerait bien, cette fois, Seuls vers une adaptation en série télé, de meilleur augure que l’adaptation ciné à moitié ratée de 2017. Ce sont cette fois les producteurs du récent et très réussi Règne animal réalisé par Thomas Cailley qui sont à la manœuvre, pour faire atterrir un Seulsqui devrait faire exactement et si possible trois saisons, et proposant, à la manière de Akira ou de Game of Thrones, une forme autre et parallèle à l’objet dessiné”. Un grand œuvre qui n’en est encore qu’à ses prémices, et qui laisse donc le temps au scénariste et à son dessinateur de se concentrer sur leur “artisanat industriel” pour éviter le pire “et une fin à la Lost où de grandes idées n’aboutissent pas à grand-chose. On ambitionne le contraire!

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