Thierry Van Hasselt, le boss du Fremok, revisite la légende de Saint-Nicolas: 168 planches coups de poing

Thierry Van Hasselt, à propos de son saint Nicolas: “Ce sont les vieux blancs comme lui, comme moi, qui doivent essayer de se transformer.” © THIERRY VAN HASSELT
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Thierry Van Hasselt, le boss du Fremok, revisite la légende de saint Nicolas dans le monde pourri d’aujourd’hui et redonne, littéralement, la parole aux enfants. À la fois une parenthèse (dés)enchantée et un grand cri d’amour et de colère en 168 planches coups de poing.

Quand Thierry Van Hasselt nous reçoit chez lui ce matin-là à Schaerbeek, il a le regard fatigué de l’auteur content qui a dû fêter ça. La veille, même pas officiellement sorti, sa Véritable histoire de Saint-Nicolas remportait le premier prix du festival Formula Bula de Paris. Une première récompense qui va sans doute en appeler d’autres tant l’auteur de Vivre à FranDisco frappe fort avec ce gros album aux grandes cases, tout en aquarelle et rotring, et toutes tenant de la grande baffe dans la gueule: saint Nicolas parcourt notre monde, “l’anthropocène déglingué”, et il n’est vraiment pas beau à voir!

Inondations, cataclysmes, forêts polluées, zones sinistrées, capitalisme triomphant, ZAD évacuées, adolescents placés à genoux, mis en joue par la police… Partout où il passe, les enfants trinquent, jusque dans ce château où se regroupent les puissants de ce monde, de Poutine à Macron en passant par George-Louis Bouchez (et son petit chien), tous occupés à… manger des enfants. C’en est trop pour saint Nicolas, qui va les rafistoler, les sauver, et mener leur révolte dans un grand feu de joie dont lui-même sortira transformé.

Ce récit cataclysmique, furieux, révolutionnaire et révolté ne devait être qu’une parenthèse après Vivre à FranDisco et avant Planète 2 en exil qui en sera la suite, “projet d’une vie” qu’il mène depuis dix ans avec celui qu’il nomme désormais Major S., artiste déficient mental, résident de La S Grand Atelier de Vielsalm.

Lui construit des maquettes en carton et en scotch, et moi je fais une bande dessinée autour de cette ville démarrée par une usine à chicons et un tunnel-église.” Thierry Van Hasselt n’avait pas prévu de faire de ce saint Nicolas ce qui restera sans doute l’un de ses grands livres: “Je ramais sur des pages que je voulais réaliser à l’aquarelle sans jamais en avoir fait. Je me suis dit: je m’y essaie sur une histoire courte, seize pages que je vais poster sur Facebook, histoire d’avoir une contrainte pour apprendre. Mais après trois pages, j’ai compris que j’étais parti pour deux ans. Saint Nicolas était déjà apparu dans FranDisco et je me souvenais de cette légende, assez connue, où après s’être promené dans la campagne, il découvre une auberge remplie d’adultes anthropophages. Il y sauve les enfants et les rafistole. Il existe aussi une version avec un boucher. Bref, j’ai vu ça comme une superbe allégorie, je venais de voir des images très violentes de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un événement qui m’a beaucoup choqué sur la violence gouvernementale et policière qui détruit les micro-formes de résilience et d’espoir qu’il reste dans notre monde d’aujourd’hui. Ça, et tout le reste, du confinement jusqu’à la jungle de Calais. J’avais besoin de crier “Réveillez-vous!”et surtout “Écoutez les enfants”.”

© National

Un méga boomer capable de changer

Le récit de Thierry Van Hasselt mêlant rêve, réalité et onirisme, “une succession d’indignation sur le monde qu’on laisse à nos enfants, développe ainsi des symboliques très fortes, et parfois très frontales tout au long de ces 168 planches, toutes impressionnantes: pas de hasard, si la parole -un premier cri de bambin- n’intervient qu’après des dizaines de pages d’un silence assourdissant. “Il s’agit effectivement, d’un effet très littéral. Dans notre monde, les enfants n’ont pas la parole. Et ils apprennent à s’exprimer. Il s’agit de leur redonner la parole et d’entendre ce qu’ils ont à nous dire sur la nécessité de leur faire de la place.

Pas de hasard ou de message complexe non plus dans la transformation physique et mentale, là aussi impressionnante, de saint Nicolas au fil des pages de sa Véritable histoire, devenant Madone puis iel: “Il faut entendre les mutations de la société, ce besoin de toute une génération de sortir du patriarcat, de l’hétéronormalité. Saint Nicolas, c’est un vieux mec, blanc, catho, une sorte de méga boomer au départ! Mais l’idée, c’est de changer, et ce sont les vieux blancs comme lui, comme moi, qui doivent essayer de se transformer.

La Véritable Histoire de Saint-Nicolas s’avère ainsi un cri de colère et d’indignation d’un auteur contemporain très radical dans ses traitements, mais qui n’en reste pas moins connecté en permanence à une réalité de terrain, crue et vécue: lorsqu’il sort de sa mécanique de grandes cases pour en faire soudain de très petites et raconter en deux planches cette fois extrêmement denses le calvaire d’un exilé, il met en dessin l’exact récit d’Abdul, rencontré lors d’un atelier collectif mené à Saint-Luc. Par ailleurs, de nombreuses cases sont directement inspirées d’images et de photos prises dans l’actualité du moment -l’évacuation de la ZAD, cette mise à genoux et en joue d’adolescents, les inondations du 13 juillet 2021… Autant d’images qui hantaient l’auteur, et qui hantent son récit, autant que cette question: “Quel monde allons-nous leur laisser?

La Véritable Histoire de Saint-Nicolas ****1/2, de Thierry Van Hasselt, éditions Fremok, 168 pages.

Thierry Van Hasselt expose une sélection de planches et de dessins originaux à la galerie Martel, à Paris, jusqu’au 11/11.

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