Critique | BD

La BD qui raconte la littérature américaine

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Catherine Mory, ­Olivier ­Gallmeister, ­François ­Guérif et Jean-Baptiste ­Hostache, éditions Les Arènes BD

Il était une fois l’Amérique – Une ­Histoire de la ­littérature américaine (1/2)

224 pages

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Hawthorne, Thoreau, Poe, Whitman, Melville, Twain… Il était une fois l’Amérique raconte les pères fondateurs des lettres US avec l’ambition de donner envie de (re)lire leurs livres. Pari osé, plutôt gagné.

Résumer 100 ans de littérature et de livres en 200 planches de bande dessinée de non-fiction vendues au prix de trois albums « classiques »… La simple idée aurait fait ricaner n’importe quel éditeur de BD il y a dix ou quinze ans. C’est pourtant devenu aujourd’hui le core business de nombre d’entre eux, dont Les Arènes BD. La professeure de français Catherine Mory y avait déjà publié deux pavés remarqués en tant que scénaristeL’Incroyable Histoire de la littérature française et L’Incroyable Histoire de la mythologie grecque-, voilà qu’elle remet ça en quatuor autour de la très riche littérature américaine -« une proposition de mon éditeur »– mais toujours mue par la même ambition: « Je suis professeure, j’aime faire passer. C’est un livre qui doit donner envie d’en ouvrir beaucoup d’autres. Il y a un vrai attrait pour ce genre de BD documentaire, entre autres auprès de la jeunesse, peut-être parce que la BD est restée longtemps un « mauvais genre », mais imagé et vivant. J’ai rencontré des ados qui m’ont dit avoir lu Madame Bovary après avoir lu notre Incroyable histoire! On espère que ce sera la même chose avec Le Dernier des Mohicans, Martin Eden, ou Les Aventures de Tom Sawyer. »

Pour parvenir à ses fins, Catherine Mory a ainsi pris un pli dont elle ne démordra pas: oui, on peut confondre l’œuvre et l’artiste, et raconter ses livres en racontant son histoire. « Raconter l’œuvre par la vie, c’est une évidence, dès le départ. Proust disait que le « moi » qui écrit est complètement différent du « moi » social… Mais toute son œuvre en est le démenti flagrant! Je crois beaucoup dans la valeur apéritive de la biographie d’un auteur, elle met de la chair sur ses livres, crée une connivence: lisez Martin Eden, mais lisez d’abord la biographie de Jack London pour voir tout ce qu’il a mis de lui, de son vécu, dedans! Comme on ne peut vraiment être touché par La Ménagerie de verre de Tennessee Williams et le personnage de Laura sans connaître l’histoire tragique de sa sœur. Même la vie d’Emily Dickinson, très fade, raconte quelque chose de ses livres, comment elle a fait quelque chose d’énorme de cette vie minuscule, prototype du révolté en chambre. Et puis, c’est une évidence: avec ce livre, on veut raconter la littérature américaine mais aussi l’Amérique. Et ce sont aussi des Américains, des citoyens, qui donnent une image kaléidoscopique, loin d’être simpliste, de ce pays. »

Cadavres dans le placard

Dans son prologue, Il était une fois l’Amérique raconte d’abord les fondements de cette Amérique bientôt moderne, comme elle nous le résume au cours de notre rencontre: « En 1620, les pères pèlerins, des dissidents protestants, quittent l’Angleterre pour fonder un nouveau paradis, un nouvel Éden. Mais deux siècles plus tard, quand commence notre histoire et leur littérature, il y a déjà trois cadavres dans le placard du paradis: une nature ravagée, des Indiens massacrés et des Noirs réduits en esclavage. Si l’on doit trouver un trait commun entre les dix auteurs, dont une autrice, que nous avons été obligés de sélectionner, c’est sans doute celui-là: cette idée de la perte de l’innocence originelle et de la mélancolie qui en découle. » Une vision souvent très critique de l’Amérique, ­rarement patriotique -« à part peut-être chez Whitman, qui a vécu la guerre de Sécession et qui se voulait un vrai panseur de plaies, un chantre de l’Amérique« -, habite effectivement les écrits de ces pères fondateurs: James Fenimore Cooper 
et son Dernier des Mohicans, premier « vrai » roman américain, Nathaniel Hawthorne et sa Lettre écarlate, premier roman dit psychologique, Henry David Thoreau inventeur du nature writing avec Walden ou la vie dans les bois, Melville et le premier « grand roman américain » que sera Moby Dick, dont il ne connaîtra jamais le succès, mourant oublié de tous. Des auteurs et des récits de vie qui donnent effectivement envie de les (re)lire presque tous, et choisis avec soin avec deux vrais spécialistes de la littérature américaine, surtout contemporaine -un deuxième tome se focalisera sur les auteur·rice·s du XXe siècle dès septembre: François Guérif et Olivier Gallmeister, deux éditeurs particulièrement américanophiles. « Ils ont tranché sur les noms à choisir, relu les textes, émis des commentaires… Un vrai plaisir et de vrais puits de science. On leur doit aussi les arbres généalogiques qui clôturent chaque récit de vie, montrant les liens littéraires entre nos dix auteurs et ceux qui leur ont succédé. » On comprend ainsi que des auteurs d’aujourd’hui comme Bret Easton Ellis, John Irving, Harper Lee, Jack Kerouac ou Tiffany McDaniel doivent par exemple beaucoup à Mark Twain.


Le premier tome de Il était une fois l’Amérique s’avère donc une belle réussite conceptuelle, mais aussi, et c’est peut-être là la meilleure surprise de sa lecture, une excellente bande dessinée: Jean-Baptiste Hostache apporte le trait énergique et expressif qu’il fallait à l’ensemble, capable également de s’adapter aux atmosphères de chacun. On sera curieux de le voir nous narrer, dan le deuxième tome, les récits de vie d’Hemingway, Capote 
ou Faulkner.

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