Critique | BD

Vivian Maier, la photographe inconnue, se raconte en BD loin des clichés

4,5 / 5
Vivian Maier, une nounou pas comme les autres. © ÉDITIONS DARGAUD

Émilie Plateau et Marzena Sowa, éditions Dargaud

Vivian Maier. Claire-obscure

136 pages

4,5 / 5
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

À deux, Émilie Plateau et Marzena Sowa retracent la vie hors norme de Vivian Maier, cette photographe désormais célèbre mais qui de son vivant n’a jamais rien montré. Une alchimie parfaite pour une biographie habitée par l’esprit et le regard de cette femme libre.

Vivian Maier, Américaine aux origines françaises, née en 1926 et décédée en 2009, serait restée la parfaite anonyme qu’elle fut toute sa vie si un amateur de photos n’avait découvert par hasard une grosse boîte de pellicules non développées dans un garde-meuble vendu aux enchères. Trente mille clichés, bientôt rejoints par des milliers d’autres, et qui vont révéler au monde une artiste rare dont on ne savait rien, désormais saluée comme l’un·e des photographes et artistes les plus important·e·s de son siècle. Une grande artiste, un parcours improbable et surtout “une femme libre” qui ne pouvait laisser insensibles deux autres, Émilie Plateau au dessin et Marzena Sowa au scénario. Plus fou encore: Vivian Maier n’a même a priori jamais tenté de son vivant d’exposer ou vendre ses photos réalisées quotidiennement pendant plus d’un demi-siècle. Elle choisit au contraire le métier de nounou. Un métier alimentaire pour faire ce qu’elle voulait, et garder la liberté de pouvoir se promener dans les rues tous les jours, racontent les deux autrices rencontrées au dernier festival d’Angoulême. Elle lisait beaucoup de livres, allait beaucoup au cinéma. Elle était intelligente, complexe.

La collaboration du duo touche à la grâce. Rarement textes et images dessinées avaient à ce point transposé parfaitement une photographe et ses photographies sans rien pouvoir montrer de son “vrai” travail. Une juste traduction, comme le souligne la scénariste de Marzi et de cet incontournable Vivian Maier: “Plonger dans la vie de quelqu’un à qui tu ne peux pas poser de questions, c’est comme apprendre une langue étrangère”. Maier était une artiste aux choix de vie radicaux qu’on perçoit dans chaque case et chaque texte de cette biographie en bande dessinée. Sowa lui fait dire ainsi: “Je photographie le monde dans lequel je vis, dans ses moindres détails. Parfois même ces derniers sont plus révélateurs que les unes des journaux. Mais les unes, je les photographie aussi. Vous allez me demander: pourquoi? Et je vous répondrai: pourquoi pas? J’aime ça, puis c’est tout. J’aime le monde qui m’entoure, je le mémorise dans sa beauté et sa laideur. Dans tout ce que les gens ne voient pas.

émilie Plateau
Émilie Plateau © céline levain

Dévoiler sans trahir

J’ai découvert Vivian Maier en 2013 par une amie, puis par le documentaire de John Maloof, l’homme qui, le premier, a découvert ses photos, nous explique Émilie Plateau. J’ai eu un vrai coup de cœur. Son regard sur les gens en marge de la société, les détails du quotidien, le coté très graphique de ses photos… J’ai été très vite fascinée par sa vie, son parcours.” Une inconnue connue qui entre également en écho avec la vie de Claudette Colvin et Noire, son premier album très remarqué en 2018 chez Dargaud (lequel, malin, a demandé aux autrices d’aligner leur maquette sur ce premier opus). Elle en parle pendant des années avec Marzena Sowa qui était “tellement jalouse”: “Moi aussi je voulais absolument travailler sur une biographie, je pensais à Madonna. Je lui soufflais des idées, on a beaucoup communiqué. Puis un jour, elle m’a demandé de l’écrire. J’étais aux anges!

Le duo se lance d’abord dans un intense travail d’immersion, de recherches et de repérages au plus près possible de cette femme secrète mais dont “le journal intime s’est écrit en photos. Elles tracent son quotidien, on voit ce qui la touche, ce qui l’interpelle. On a essayé d’être au plus proche d’elle tout en la respectant. C’était quelqu’un de discret, et un vrai enjeu pour nous de ne pas la trahir tout en la dévoilant. C’était aussi une femme qui s’était créé une carapace pour ne pas s’attacher. Une femme complexe dont les réponses sont aussi à trouver dans son enfance, entre Brooklyn et le sud de la France.

Marzena Sowa
Marzena Sowa © céline levain

Cette immersion totale dans l’esprit et le regard de l’artiste habite littéralement cet album très réussi. Sans l’expliquer, le lecteur comprend et ressent rapidement que les images, les mises en scène, les atmosphères, les mille détails dont sont capables les dessins faussement naïfs d’Émilie, sont directement issus des photographies de l’artiste dont elles dépeignent ici le quotidien et la philosophie de vie. Dans les travellings des rues de New York ou de Chicago, dans les superbes dessins de la nature des Hautes-Alpes où se trouvait le village familial, jusque dans la couverture fourmillant de détails tout sauf anecdotiques -les mannequins dans les vitrines, le lecteur de journal, l’estropié, le chien à la patte cassée accroché à une poubelle, jusqu’au jeu d’ombre désignant Vivian Maier, friande aussi d’autoportrait. Tout rappelle les thèmes, les atmosphères des photos de l’artiste. Photos totalement absentes de cet album de pure bande dessinée. “Pour des raisons un peu complexes de droits avec les différents collectionneurs qui possèdent désormais les œuvres de Vivian. On aurait aimé au moins une photo d’elle, un autoportrait, pour clore l’album, mais nous n’en avons jamais reçu l’autorisation.” Une demi-frustration qui s’efface vite grâce à Google et à la formidable expérience de lecture proposée par le duo.

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