Critique | BD

Florence Dupré la Tour questionne avec talent sa gémellité

4,4 / 5
© National

Florence Dupré la Tour, éditions Dargaud

Jumelle (2/2) : Dépareillées

256 pages

4,4 / 5
© National
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Florence Dupré la Tour poursuit l’exploration de son enfance et de sa gémellité. Une mise à nu d’une sincérité frappante.

Bis repetita placent: oui, comme disait Horace, les choses répétées plaisent, surtout lorsqu’elles le sont par Florence Dupré la Tour. Celle-ci, et depuis cinq albums déjà -un Cruelle, deux Pucelle et ce deuxième Jumelle– n’en finit pas d’explorer, fouiller, gratter et interroger son enfance, à nulle autre pareille -dans une famille nombreuse, nantie mais aussi catho que dysfonctionnelle, avec une “vraie” sœur jumelle, Bénédicte- et la quête d’identité et d’estime de soi à l’adolescence.

Ce deuxième Jumelle démarre quand Florence a 11 ans et qu’elle part s’installer en famille en Guadeloupe. Le début de la fin d’une relation où elle n’existait qu’en somme (“1+1 = 1”): “Alors, devant le collège, ce premier jour de la rentrée, notre fusion fut totale. Mais au fond de moi, je ressentais secrètement que ce serait la dernière fois.” Elles qui ne vivaient “que pour nous deux”, elles qu’on appelait “Flobendit” en les entremêlant, vont inexorablement s’affirmer, s’éloigner et “connaître l’enfer des TOUSEUL. Bénédicte parce qu’elle découvre son corps et les garçons, Florence parce qu’elle ne trouve pas sa place dans ce monde sexué. “Celui des femmes. Cette image, ce statut, je n’en voulais pas. Je me voyais comme une sorte de garçon. Mais attirée par les garçons, les mêmes que Béné…” Un vrai sac de nœuds émotionnel et identitaire où vont se mettre en place toutes les clés de compréhension de la personnalité de Florence, et de toute son œuvre d’autofiction, l’une des plus brillantes de la BD contemporaine.

Tout s’explique

Les ressorts de cette famille hors norme et parfois toxique, le départ déchirant en Guadeloupe ou les premières amours complexes de Florence, les lecteurs et lectrices de ses albums en “-elle” les ont déjà vécus, mais sous un autre angle. Ce qui fait précisément tout le sel de cette œuvre panoptique: revivant les mêmes scènes mais qu’elle aborde différemment, sous l’angle de la sexualité ou de la gémellité par exemple, Florence Dupré la Tour complète et affine encore cette plongée très psychothérapeutique dans l’enfance. Une enfance qui nous façonne tous et mêle souvent les émotions les plus extrêmes. Ces émotions, l’autrice les exprime magnifiquement, en usant de toutes les ressources de la bande dessinée: onirisme, couleurs, métaphores, outrances, interprétations graphiques… Florence Dupré la Tour plonge en elle en même temps que dans le dessin, ne s’autorisant aucune indulgence pour l’enfant qu’elle était et l’adulte qu’elle est devenue, heureusement baignée d’humour. On comprend littéralement, avec ce deuxième tome qui en demande un troisième, pourquoi elle est devenue autrice de bande dessinée. Et surtout, pourquoi une aussi bonne!

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