Arno, un retour aux sources pour son ultime album

Avant de partir, Arno s’est offert un dernier raout, une dernière fête musicale. © danny willems
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Ce 30 septembre sort Opex, album bouclé par Arno dans sa dernière ligne de vie. Âpre, inspiré par la maladie, il exprime ce qui a fait ce grand Belge: la lucidité mais aussi le courage d’être différent.

D’une certaine façon, l’album d’Arno qui sort en cette fin de septembre, boucle une histoire. Le titre, Opex, fait référence au quartier d’Ostende où il a vécu, jeune, en famille. Et sur ce disque, il y a un titre, Mon grand-père, et puis la participation de son fils, Félix, connu pour ses propositions en électro, à deux compositions, dont La Vérité qui ouvre l’album. Tout cela ramène aux proches et à la cellule familiale. Celle présente lorsqu’Arno a fêté ses 70 ans à l’Archiduc. Cela faisait 40 ans que je le fréquentais.” Jean-Louis Hennart, propriétaire du fameux piano-bar à deux pas de la Bourse de Bruxelles, a encore du mal à parler de celui qui a passé d’infinies soirées dans son cocon Art déco de la rue Dansaert. Arno habitait un bel appartement pas très meublé, à 300 mètres de ce rade chéri. “La dernière année, il ne venait plus en soirée mais je le croisais l’après-midi: il a fait preuve d’une grande ténacité, de panache. Il ne parlait pas vraiment du disque qu’il enregistrait mais pensait que s’il chantait, il allait tenir le coup. Même si physiquement, il a fait preuve d’une extraordinaire résistance, notamment lors des derniers concerts. Si je dois retenir une chose d’Opex, c’est “faisons la fête” comme il le chante dans le morceau Boulettes. Pour moi, il est toujours là, et c’est ce que ressentent beaucoup de gens dans ce quartier Dansaert où ils ne cessaient de le croiser.

Fête, famille musicale, amis proches, parents: Opex n’est pas seulement un testament discographique, mais aussi la réunion d’une partie de ceux qui ont marqué le parcours d’Arno. Paul Couter, mort il y a une bonne année, a été sans doute sa première grande rencontre musicale: sur Opex, Arno s’en souvient en reprenant I Can Dance, titre qu’il interprétait avec leur duo Tjens Couter en 1980. Il est ici bordé de guitares sauvages, l’une des marques d’Opex, signées Bruno Fevery, brillant collaborateur occasionnel du chanteur. Un Louvaniste désormais Anversois qui fait généreusement saigner les cordes, rappelant parfois les morsures acides des vieux TC Matic voire du Arno solo des débuts. Retour aux bases séminales?Il y a peut-être des sonorités qui peuvent rappeler TC Matic, mais c’est sans doute un processus inconscient. En tout cas, cet album a été une affaire de famille”, poursuit Jean-Louis.

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Mireille Mathieu

Quelques jours après la présentation de l’album à l’Archiduc, “moment émotionnellement fort, on parle à Mirko Banovic. Bassiste historique d’Arno -ils travaillent ensemble depuis 1999-, il cosigne une grande partie d’Opex, coproduit avec le chanteur, jouant aussi des synthés, comme son Félix, toujours dans l’esprit family affair. À l’automne 2021, Mirko débute la réalisation de maquettes dans son studio gantois, finissant le disque au printemps 2022 aux très équipés studios ixellois ICP, qu’Arno fréquente depuis plus de quatre décennies. Un cocon où il a ses habitudes. Avec aussi Michel Dierickx, son ingé son, autre membre de la “famille”. Mirko: “En quelque sorte, l’endroit le rassurait… Le fait d’écrire et de composer le tenait sur ses jambes. Et travailler ensemble la musique, c’est aussi oublier la maladie, la dure réalité. D’ailleurs, elle n’intervenait pas dans les conversations. Il s’est battu à 200% pour aller jusqu’au bout. Il savait que c’était son dernier album et espérait même pouvoir jouer ce répertoire en live, mais son corps en a décidé autrement.

Arno étant Arno, pas question de ne pas jeter toutes les forces dans la bataille, y compris celles qui fuient. Les prises de voix sont limitées -une, voire deux- et c’est précisément le sentiment majeur dégagé par Opex. Sans échapper aux références familiales, voire à une naturelle mélancolie, aux choses qui ne reviendront plus, le modus operandi est de s’offrir un dernier raout, une ultime fête musicale. Mirko: “Le sentiment dominant a été: il faut y aller, il faut pouvoir célébrer, malgré les circonstances. Où Arno a aussi aimé les propositions de petits sons bizarres, irréalistes. Quand il y a eu la dernière session avec lui à l’ICP, fin mars 2022, on a rigolé, on s’est amusé en reprenant One Night with You, le morceau rendu populaire par Presley, qui avait marqué sa jeunesse. ça a donné un chouette sentiment à tout le monde…” Et puis, passent aussi sur l’album deux invités particuliers. D’abord, le saxophone de Peter Hintjens, le petit frère. Désormais retraité, il a longtemps travaillé la médecine dans des laboratoires. Cadet de cinq ans d’Arno, il joue toujours dans des “groupes rock’n’roll psychédéliques” -dixit Mirko Banovic- et cela reste aujourd’hui dur pour lui de parler de l’aîné, cinq mois après sa disparition, le 23 avril 2022.

On n’en saura pas plus de l’autre surprise d’Opex, Mireille Mathieu en guest star vocale de La Paloma Adieu. Mirko Banovic: “Ce n’est pas un choix curieux parce qu’Arno a toujours voulu faire un duo avec elle. Il était trop faible pour se déplacer et elle, craignant le Covid, a enregistré sa partie vocale à Avignon. Et c’est précisément la combinaison entre les deux voix qui donne l’aspect surréaliste à ce moment-là. Le surréalisme, c’est ce qu’Arno a toujours cherché, au fond.

Arno – « Opex » ****

Hier, c’était le passé/Aujourd’hui la vérité/Embrasse le passé il n’existe plus/La vie aujourd’hui est plus importante”, chante Arno dans le beau morceau qui ouvre le disque sur une note mélancolique. Réaliste et cruelle. Album ultime bouclé entre l’automne 2021 et le printemps 2022, Opex est l’opus des dernières forces. Une déclaration d’amour à sa famille (Mon grand-père), à ses amis et à la musique. Qu’Arno honore en jetant pleinement sa voix éraillée dans les chansons, faisant trembler son harmonica en guise de titre de fin (I’m Not Gonna Whistle). La synthèse est parfois inattendue (le duo avec Mireille Mathieu), souvent conforme à un parcours n’omettant ni le blues (la reprise punk de One Night with You), ni la sensation de vouloir vivre une dernière fête (Boulettes). Bye maestro.

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