C’est parti pour les Nuits du Bota: ce qu’il faut retenir des premiers concerts

© Hugues de Castillo
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pop indé montréalaise en français (Bibi Club), performance queer (Sharon Udoh) et rap TGV (Clipping.). Mercredi, à défaut d’attirer la grande foule, les Nuits ont joliment débuté.

Un soupçon de soleil. Temps gris. Vent froid. Cinq misérables degrés Celsius annoncés par le thermomètre. Personne m’avait prévenu que le festival bruxellois avait déménagé au beau milieu de l’hiver… Ce mercredi soir, à Saint-Josse, pour le coup d’envoi des 31e Nuits du Bota, l’écharpe et le bonnet sont préférables aux lunettes de soleil, aux bermudas et aux chemises à fleurs. Ce n’est pas encore la journée All Access, celle qui permettra quasiment dès midi, le 4 mai, de se promener avec un billet unique dans toutes les salles du complexe (au programme entre autres: James Holden, Bar Italia, Drahla, Charlène Darling, Loverman, les Lambrini Girls, Nah…). On n’en a pas moins décidé de se promener.

Rap (en) français sous le chapiteau, hip hop barré à l’Orangerie, folk indé à La Rotonde et musique expérimentale japonaise au Musée… Le programme s’annonce diversifié. D’autant que les premières parties ne font pas dans le copier-collé.

Les jardins et le chemin vers les salles est parsemé d’oeuvres d’art. Stands de bouffe en mode containers. Bancs en métal et blocs de béton. Le site du festival est habillé par un tout nouveau mobilier usuel conçu et réalisé par Maxime Halot et W.I.P. Collective. Les serres accueillent une exposition dirigée par Lucie Lanzini et Pierre Daniel. Et le café Bota est décoré par les grandes fresques de Clara Duflos. Dehors, cette volonté de décloisonnement entre la musique et les arts plastiques se matérialise par l’installation de sept sculptures monumentales réalisées par Xavier Mary. Particulièrement à leur avantage la nuit, elles se dressent comme «les vestiges du monde industriel, les coulisses d’une ère moderne».

Les concerts? On s’était déplacé pour Clipping. à l’Orangerie. On se sera avant ça laissé embarquer par Bibi Club à la Rotonde. Drôle de nom pour une rencontre. Mais un emballant concert qui a du Stereolab et du Electrelane qui lui coule dans les veines. Bibi Club est le projet formé en 2016 par Adèle Trottier-Rivard et Nicolas Basque. Deux multi instrumentistes chevronnés de la scène montréalaise notamment croisés au sein de Plants and Animals. Inspiré entre autres par Alice Coltrane, Tirzah, Dean blunt, les Talking Heads ou encore Suicide, le tandem (à la scène comme à la ville) cherche à allier légèreté et profondeur. A la fois mélancolique et lumineux, Bibi Club fait de la pop en français et en anglais. Evoque Laetitia Sadier donc mais aussi Beach House, Deerhunter, les débuts de Beach Fossils, La Femme ou encore King Hannah (pour les élans pas chiants de guitare hero). C’est immédiat et assez irrésistible. Le public dodeline de la tête sans s’en rendre compte comme les clients de Championship Vinyl quand on leur met le Beta Band (quoi t’as jamais vu High Fidelity?) Après avoir sorti un premier album, Le Soleil et la Mer, il y a quasiment deux ans, Adèle et Nicolas dévoileront son successeur, Feu de garde, le 10 mai. Rendez-vous est pris.

L’assistance en cette journée d’ouverture des Nuits est assez clairsemée. La Rotonde est la seule à afficher complet. Le chapiteau est à moitié plein. Et pareil au musée pour les expériences sonores de Keiji Haino. Haino est une figure incontournable de la scène expérimentale internationale. Longs cheveux gris, lunettes noires. La présence est charismatique. Né à Chiba en 1952, Haino s’est d’abord tourné vers le théâtre, inspiré par Antonin Artaud, avant de se consacrer à la musique stimulé par la découverte fortuite des Doors. Son set est viscéral, trippant cérébral. Le public, parfois allongé par terre, semble transporté.

A l’Orangerie, pour Clipping., il est plutôt du genre emballé. Le trio californien n’a plus sorti d’album depuis Visions of Bodies Being Burned en 2020 mais Daveed Diggs sait y faire. Célèbre pour avoir interprété en 2015 les rôles du Marquis de Lafayette et de Thomas Jefferson dans la comédie musicale Hamilton (prestations qui lui ont valu un Grammy et un Tony), Diggs est aujourd’hui l’homme qui rappe plus vite que son ombre. Electro, noise, musiques industrielles… L’ambiance sonore est sombre, expé et oppressante. Mais le groupe, qualifié d’horrorcore, californien n’en est pas moins bon esprit. Il invite d’ailleurs Sharon Udoh à le rejoindre. Lui laisse exclusivement la scène pour un petit intermède et la partage pour la fin de son concert. Udoh qui a ouvert la soirée est une pianiste et chanteuse queer d’origine américaine et nigériane. Pour le look, on pense à Bruce Ellison de PPZ30 (la faute à sa touffe de cheveux au milieu d’un crâne rasé sans doute). Udoh a sorti deux albums sous le nom de Counterfeit Madison. Et a même proposé en 2016 une performance: Counterfeit Madison Meets Nina Simone: A Celebration of Blackness. Ce mercredi, en une petite demi-heure, l’artiste avait déjà mis les quelques spectateurs arrivés à l’heure dans sa poche. Early rock’n’roll façon Little Richard, reprise de Ne Me Quitte Pas en français dans le texte et cabaret à la Hawksley Workman. Tout ça est de bien bon augure…

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