Les racines élémentaires de Françoiz Breut: « À la base, je viens d’une famille de paysans »

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Françoiz Breut fait le printemps avec son nouvel album, Vif! L’occasion d’une virée (pluvieuse) en forêt pour parler d’un disque espiègle et sensuel, qui part se ressourcer dans la nature.

Ah ben voilà, c’est magnifique par ici! On est bien, non? », s’enthousiasme Françoiz Breut. Seuls au milieu de la hêtraie cathédrale, en pleine forêt de Soignes, on est pas mal en effet. Un peu trempés, certes. Complètement rincés même. Mais malgré tout au grand air, entouré de vert: on ne va pas se plaindre. Le rendez-vous a été fixé quelques jours plus tôt. Pour évoquer son nouvel album, Françoiz Breut a proposé de se poser pour une fois dehors. Le parc royal? Le bois du Laerbeek? On suggère la forêt de Soignes. Banco. D’autant qu’à ce moment-là, le soleil arrose encore généreusement les sentiers, assumant enfin ses obligations printanières. Pas pour longtemps. Le surlendemain, quand Françoiz Breut arrive à vélo du côté de Boitsfort, la pluie est de retour pour arroser abondamment la ville.

Soit. Il faut parfois pouvoir mouiller le maillot. Ou le parka en l’occurrence. Le temps de rentrer dans la forêt, le carnet de notes a d’ailleurs déjà pris l’eau. L’enregistreur du téléphone prend le relais, pour capter la conversation, tapissée des bruits de pas dans la boue. Avec ses bottines, Françoiz Breut a prévu le coup. Le plumitif, en baskets basses, moins. Pendant qu’on tente de conserver un minimum de dignité sur les chemins de terre glissants, la chanteuse pense au monde qui grouille sous ses pieds. Celui qui peuple également son nouvel album. Trois ans après les mélodies serpentantes de Flux flou de la foule, Françoiz Breut a voulu en effet prendre l’air. Quitter l’agitation urbaine pour se mettre, sinon dans la réalité, au moins musicalement, « au vert ». Un huitième album peuplé de cerfs et de lièvres, de vers et d’insectes, tapissé de mousses et de lichens.

Le jardin extraordinaire

Le résultat est intitulé Vif ! Un excellent titre, on en conviendra… « J’aimais bien le côté très court, énergique du mot… Il y a pas mal de choses négatives tout le temps, autour de nous. Et c’est normal. Il faut être critique. Mais c’est important de voir aussi parfois ce qui continue de fonctionner, de pousser, de constater comment certaines espèces réussissent à s’adapter… »

D’autres options de titre étaient sur la table. Comme Organique. « Mais ça faisait trop épicerie bio ». Ou 37 ares. « Mais ça n’était pas très évocateur », rigole l’intéressée. En l’occurrence, la surface correspond au bout de forêt que s’est acheté la musicienne, avec son amoureux. « La première fois qu’on a visité le terrain, j’ai débarqué en minijupe et collants. La vraie citadine, quoi. Sauf que le bois n’était pas du tout entretenu. Il n’y avait pas de chemin. Ce n’était que des ronces, des troncs morts et des mouches partout. J’étais vraiment énervée. Et puis j’ai fini par me laisser convaincre. Ce n’était pas très cher. Et, quelque part, c’était plus intéressant de mettre cet argent là-dedans, que sur un compte épargne qui ne rapporte de toutes façons plus rien… »

Depuis, le terrain a été déblayé et des arbres fruitiers plantés. « Une quinzaine de pruniers, cerisiers, pommiers, poiriers… On essaie d’y aller une fois par mois. Pour débroussailler ou inviter des amis pour un pique-nique. Mais l’idée n’est pas du tout de l’exploiter. Et comme on est en zone Natura 2000, on ne pourra de toutes façons jamais y construire. »

Rat des villes

Longtemps, Françoiz Breut a pourtant été un animal urbain. Cela fait maintenant pas loin de 25 ans que la quinquagénaire vit à Bruxelles, en plein centre. Celle qui, dès 1993, accompagnait Dominique A, son partenaire de l’époque, sur Chanson de la ville silencieuse, y a trouvé matière à son tout premier 45 tours – Little Female Cook, sur son expérience de commis dans les cuisines d’un fameux rade de la rue du Bailly. Ainsi que le thème de l’un de ses morceaux les plus emblématiques –BXL Bleuette, sur l’album La Couleur des sentiments en 2012.

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Même sur Flux flou de la foule, en 2021, elle chantait encore le bitume et les tours de béton. À ceci près que la ville y apparaissait désormais « éventrée », un chantier permanent que traversent des « rues encombrées », comme c’est le cas sur le morceau Dérive urbaine dans la ville cannibale. « Je crois que je souffre de Nature deficit disorder! (rires) J’ai grandi dans la banlieue de Cherbourg. Dans une cité un peu moche, mais derrière laquelle il y avait directement des champs, et devant la mer. Et puis, mes parents sont originaires de Bretagne. Tous les étés, pendant les vacances, on retournait dans leur bled, à la campagne. Avec ma sœur, on passait notre temps à jouer dans les bois, libres de faire à peu près ce qu’on voulait. »

Rat des champs

En ouverture de son nouveau disque, Françoiz Breut chante notamment, sur le morceau Hors-sol: « Sans attaches, sans racines/on glisse sur l’asphalte », comme coupée de ses racines. Ce qui peut être pratique quand il s’agit de se réinventer. Mais peut aussi se révéler plus déstabilisant au quotidien, a fortiori à un moment où les repères semblent s’effondrer les uns après les autres. « À la base, je viens d’une famille de paysans. Même si mon père travaillait dans le nucléaire, dès qu’il rentrait à la maison, il passait son temps dans son jardin, à travailler la terre. Aujourd’hui, ils habitent en appartement. Il a retrouvé un bout de potager. Mais je comprends mieux pourquoi il a pu se sentir coupé de ce qu’il a toujours vécu. »

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Petite précision (alors qu’on quitte le sentier des Merles): pas besoin de faire de Françoiz Breut une porte-parole écolo –« Ce ne sont que des chansons. Même si j’essaie d’y mettre du sens, j’ai du mal à me dire « engagée », comme peuvent l’être ceux qui militent en s’attachant pour empêcher la construction de tel pont ou autoroute ». Autre éclaircissement (alors qu’on vire sur la drève du Tambour): pas question non plus de voir dans la fibre verte de la chanteuse la tentation du repli. Ici, la nature est un refuge, pas forcément une fuite. « Je suis fascinée par ces gens qui réussissent à vivre en autarcie, en produisant leur électricité et leurs légumes. Ça m’intrigue. Par contre, ça n’implique pas l’isolement, en mode ermite survivaliste. Je n’ai aucune envie de me retrouver isolée. Si je cultive mon potager, c’est pour le partager avec mes voisins. »

Bonnes feuilles

C’est un peu le même principe avec la musique. Pour Vif !, Françoiz Breut a retrouvé Marc Mélia (claviers), François Schulz (basse-guitare) et Roméo Poirier (batterie), déjà présents sur Flux flou de la foule. « J’arrivais avec des bouts de paroles, et on commençait à jouer ensemble. » Des textes pas trop longs, « pour laisser assez de place à la musique ». Et dans lesquels elle s’est amusée à glisser des mots aussi étranges que « gymnote » (une grosse « anguille » d’Amérique du Sud produisant de fortes décharges électriques, NDLR) ou « amphisbène » (un serpent mythologique à deux têtes, NDLR).

« On me reproche parfois d’utiliser des termes un peu désuets. Mais moi, j’aime ça, les mots étranges. C’est comme déguster un bon vin ou un mets un peu raffiné. Ce n’est pas du tout pour faire intelligent. C’est juste l’envie de partager un mot qu’on n’entend pas toujours très souvent. Quand je lis un livre par exemple, j’ai toujours mon dictionnaire à côté de moi. Parce que je ne suis pas seulement attirée par le discours ou l’histoire, mais aussi par les mots utilisés, qui peuvent être parfois bizarres et beaux. »

Et de préciser un peu plus tard: « D’un autre côté, je viens d’une famille où il n’y avait pas beaucoup de bouquins. Ma mère, par exemple, a arrêté l’école à 14 ans pour bosser en usine. Elle avait honte de ses origines et ne lisait quasiment pas. Donc, quand je fais remonter un terme un peu étrange, il y a peut-être aussi la peur de ne pas réussir à dire les choses… »

Dancing into the woods

Il n’est pas impossible que cette attention au texte ait aussi longtemps participé à coincer Françoiz Breut dans la case « chanson française ». Un peu à son insu, tant ses influences débordent du format. C’est plus que jamais le cas sur Vif !. Un disque qui cultive à sa manière l’art du groove langoureux, voire sensuel, zieutant aussi bien les vagues kraut lancinantes à la Can (Hors-sol) que la pop psyché sixties (Dancing frénétique, Lichens).

Celle qui s’amuse régulièrement à mixer sous le pseudo de DJ Minoo, intégrant dans ses playlists Spotify aussi bien les Joubert Singers que le rappeur Josman se rapproche ainsi toujours plus de la piste de danse. « Ah cool! J’adorerais faire un jour un disque de funk, avec des grosses basses et tout. Mais bon, ce n’est pas parce que vous imaginez quelque chose que vous êtes capables de le concrétiser (sourire). Et puis, je fonctionne toujours avec d’autres musiciens. Et j’accepte qu’ils m’emmènent dans un endroit que je n’avais pas toujours imaginé au départ. Je leur demande juste de ne pas faire des trucs trop mous. Je sais qu’ils aiment bien quand je chante des morceaux un peu doux. Mais s’il y en a trop, je m’endors sur scène… »

C’est aussi de là que vient la vitalité d’un disque espiègle, qui évite le catastrophisme ambiant, et célèbre la nature dans tout ce qu’elle peut avoir d’à la fois exaltant et réconfortant. Sans céder pour autant à la solennité béate ou l’ésotérisme en sarouel. Alors qu’on ressort de la forêt pour longer un cimetière communal où reposent notamment le réalisateur André Dartevelle ou le comédien Dieudonné Kabongo (mais aussi Jean-Pierre, Nicolas ou Benoît), on repense par exemple au premier single, tiré de Vif!: Ode aux vers

La poésie des vers

Une « célébration des petites créatures vivant entre la terre et l’argile », insiste le communiqué de presse, parlant de véritables « héros souterrains dans cette odyssée musicale, tissant des récits dans les replis du sol ». Ce n’est pas tous les jours qu’on peut écouter un morceau sur les lombrics. Sur lequel Françoiz Breut chante par exemple: « Chers vers, délectez vous de nos chairs/Filandreuses fibres nourricières/Glissez sans fin dans nos artères/En frissons, secousses légères », réussissant à rendre presque sensuelle la décomposition de l’enveloppe corporelle.

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« Pour moi, un ver de terre n’a rien de sale ou de glauque. J’ai toujours adoré cette petite créature avec laquelle j’ai beaucoup joué, enfant. Dans ce morceau, j’essaie d’évoquer de manière poétique le fait qu’en retournant à la terre, on la nourrit aussi. Au fond, c’est la chose la plus normale qui soit. La pratique de l’humusation (la transformation des corps en humus, NDLR), c’est un peu ça. Elle n’est toujours pas autorisée, même si elle est par exemple moins polluante que l’inhumation ou la crémation. Au-delà de cet aspect, le ver de terre est essentiel pour aérer les sols, comme l’explique par exemple Gaspard Koenig dans son essai Humus. En creusant ses tunnels, il permet de ramener de la vie… » En 2018, des chercheurs de l’Inra ont enregistré les émissions acoustiques des vers de terre en activité. À leur manière, les chansons de Vif! cherchent à créer le même effet.

Un peu plus tôt, Françoiz Breut précisait encore: « L’idée n’est pas de se coller des œillères pour éviter de voir tout ce que ne va pas. Mais d’essayer d’observer aussi le beau et tout ce qui continue à vivre. C’est assez banal, mais… » Vu l’ambiance du moment, pas si sûr… ●

Françoiz Breut, Vif!, distr. 
62 Records. En concert entre autres le 30/04 aux Nuits Botanique, le 22/06 au Cinquantenaire (Fête de la musique), le 04/07 au Carré à Mons.

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