Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

PUBLIÉ PAR ECM ET RÉALISÉ PAR SON ÉPOUSE, CE DOCUMENTAIRE CONSACRÉ AU MYTHIQUE CHARLES LLOYD EST UNE MERVEILLE D’INTELLIGENCE ET DE CONCISION.

Charles Lloyd: Arrows Into Infinity

DISTRIBUÉ PAR ECM 5052 (NEW ART INTERNATIONAL)

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C’est Jason Moran qui définit le mieux l’importance du saxophoniste aujourd’hui: « Des musiciens de jazz comme Charles Lloyd, il n’en reste que très peu. » Avec Sonny Rollins (le seul, désormais, à appartenir à cette génération encore antérieure qui a joué avec Charlie Parker), Randy Weston, Ornette Coleman, Ahmad Jamal ou Wayne Shorter, Charles Lloyd est en effet l’un des derniers musiciens en activité à avoir débuté sa carrière à la fin des années 50. A travers cette citation, Moran veut nous faire comprendre ceci: Lloyd est le témoin, l’acteur et la mémoire vivante d’une époque révolue mais mythique et révolutionnaire du jazz -les sixties, dont il fut un des rouages majeurs. Une époque qui (avec la seconde moitié des années 50), reste inscrite dans la mémoire collective et en particulier celle des Afro-Américains.

La traversée des années 60 fut en effet fulgurante pour Lloyd. Saxophoniste et directeur artistique de la formation de Chico Hamilton, il joue ensuite avec Cannonball Adderley puis dirige son premier quartette (composé de Ron Carter, Herbie Hancock et Tony Williams) en 1964. De manière imprévisible, le combo, dans sa composition définitive (Keith Jarrett, Cecil McBee puis Ron McClure et Jack DeJohnette) va connaître un succès public qui ne sera dépassé, dans toute l’Histoire du jazz, que par le Miles Davis des années 80. Coqueluche du public blanc mais tout aussi populaire dans les ghettos noirs, le premier groupe de jazz jamais invité à se produire dans les Fillmore comme dans les festivals pop (Monterey) est aussi le plus gros vendeur de disques -catégorie jazz- de l’époque. La raison du succès de Lloyd? Une version plus light mais sincère du jazz modal coltranien, combinée avec une touche mélodique à la Miles. Le cocktail, bien sûr, ne fut pas du goût de tout le monde, certains n’y voyant qu’une version « pop » et dévoyée de la « new thing » -comprendre, free jazz- naissante. Cette polémique est curieusement absente d’Arrows Into Infinity, réalisé par la compagne de Lloyd et un ami vidéaste.

Billard avec Coleman

Le film, par contre, épouse étroitement le regard que porte le musicien sur sa vie et sa carrière, tout en éclairant ses zones d’ombre. On découvre ainsi que Lloyd vient du blues et accompagna Howlin’ Wolf. On y apprend aussi que le fameux concert donné au festival de Tallin le fut en dehors des échanges culturels entre les USA et l’URSS et valut le goulag à ses organisateurs. Quant à sa soudaine retraite, elle fut la conséquence du refus du saxophoniste de « devenir un produit« . Son retour à la scène aux côtés de Michel Petrucciani, début 80, fut motivé par son désir d’apporter au pianiste français « ce que lui avaient légué ses aînés« . Et ainsi de suite. Nourri par la grande qualité de nombreux documents musicaux et par celle de ses intervenants (dont Michael Cuscuna, Jim Keltner, John Densmore, Robbie Robertson et les musiciens avec qui il a joué) ainsi que par la révélation d’amitiés ignorées (cf. la partie de billard avec Ornette Coleman), Arrows To Infinity est une promenade jouissive dans l’oeuvre, la vie et la philosophie de Charles Lloyd -lequel se produira le 7 novembre au théâtre 140, dans le cadre du Skoda Jazz Festival.

PHILIPPE ELHEM

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