Paradoxant: « J’aime ce rapport à l’imperfection »

Antoine Meersseman: "Il y a plein d'erreurs, pleins de trucs foireux mais j'aime ce rapport à l'imperfection. Je ne vois aucun intérêt au fait de mûrir un truc pendant quatre ans. Même si d'autres le font très bien." © LUCIE MARTIN
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Bassiste de BRNS, Antoine Meersseman explore le côté obscur et bizarre de la pop sur son premier album solo. Remises en question, surdité et contagion.

« En Belgique, on parle de robot pour l’Horeca dans lequel tu inséreras ta carte d’identité et qui contrôlera si t’as de la fièvre. Au Danemark, ils vont imposer le passeport vaccinal. Tout le monde devra avoir un smartphone pour rentrer dans les restos, les cinémas… Et je n’en ai même pas. À chaque jour son lot de mauvaises nouvelles. C’est le monde d’avant en 40 fois pire. »

Antoine Meersseman est inquiet pour les prochaines années mais est le premier à affirmer qu’il n’est pas à plaindre. Il continue à faire de la musique et vient de sortir le premier album de Paradoxant (lire la critique ci-dessous). Un disque tordu, étrange, sombre mais pas glauque, enregistré avec Antoine Pasqualini dit Monolithe noir et Romain Benard de Ropoporose. « Ça fait pas mal d’années que j’accumule des compos mais j’étais un peu flippé à l’idée de me lancer. Je ne m’en sentais pas du tout capable. J’ai un rapport parfois un peu compliqué à la musique. J’ai tendance à être assez dur avec moi-même. Est-ce que je suis vraiment légitime? J’ai fini par me dire que je n’étais pas pire qu’un autre. Que je pouvais moi aussi sortir un disque. Ça m’a vraiment décomplexé. »

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Antoine est né, a grandi et a toujours vécu à Bruxelles. Il a étudié la philo romane à l’ULB, a bossé pendant deux ans à la Médiathèque (département chanson française) avant de choper le statut d’artiste. « Mon père a étudié la BD et ma mère a créé une école à pédagogie active avec des collègues. J’ai grandi dans un milieu associatif de gauche. » Une famille musicale aussi. Le grand-père maternel d’Antoine a chroniqué le jazz et la chanson pour Le Rail, l’ancien journal de la SCNB. « De fil en aiguille, il est devenu pote avec Brassens et d’autres. Mon paternel, lui, avait 23 ans en 1979. Je n’ai pas grand-chose à lui apprendre en matière de post-punk. On a eu une bonne éducation. » D’autant que Gil Mortio, son prof de basse quand il avait 17 ans, l’a davantage encore ouvert à la musique. « Dans BRNS, je suis musicalement le moins bavard. Je ne suis pas un instrumentiste diabolique et j’ai un jeu peu ostentatoire. J’ai été plus loin dans l’idée d’arrangement et d’ambiances avec Paradoxant. Je voulais installer un climat. C’est beaucoup plus introspectif. Je voulais que ce soit plus sombre, plus simple, mais quand même un peu sexy. Chaleureux, même si un peu dark. »

L’album s’ouvre sur Rebirth. Et c’est un peu ça ce disque pour Antoine. Une renaissance. « Je pensais que la musique avait une grande utilité pour le bien commun et pendant la tournée de Namdose (BRNS versus Ropoporose), je me suis dit après un très chouette concert à l’Atelier 210 qu’on jouait toujours pour les mêmes personnes. Qu’on s’adressait à un entre-soi. Que ça ne bougeait pas. Qu’on était soit la vaseline soit le suppositoire d’une société malade. En jouant ce jeu-là, tu es dans l’entertainment. La case à laquelle on t’assigne. Une espèce de marchandise. C’est hyper déprimant. »

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Le trentenaire qui avait un peu perdu de vue pourquoi il faisait de la musique a retrouvé le goût de sa pratique, le chemin de sa passion. « Dans un monde marchand, c’était revenir à l’essence de la création. Se marrer avant tout. C’est une idée qui se perd un peu. Tout le monde cherche toujours une finalité. Tu fais un petit dessin sur un bout de papier au coin d’une table et tu te dis, je vais le poster sur Instagram et peut-être arriver à le vendre. Il y a un truc un peu lourd avec ça. J’essaie d’aborder les choses autrement. »

Dans l’oreille

Pour le moment, il lit plutôt des essais politiques. « Je me chauffe pour la révolution à venir. Ça canalise un peu mes angoisses. » Antoine Meersseman a un faible pour les ambiances étranges. Les trucs qui ne le mettent pas super à l’aise et les sentiments bizarres qu’ils procurent. Il aime le côté dérangé, la folie, les fêlures et les brèches. Il parle de Dostoïevski, de Five Easy Pieces avec Jack Nicholson. Puis aussi d’Hong Sang-soo, d’Imamura, d’Hou Hsiao-hsien. « Ces derniers temps, j’avais l’impression que mon cerveau tournait un peu en boucle. C’était plus facile pour moi de m’évader dans le cinéma que dans les livres. Je me suis fait quelques Cassavetes. Les frères Safdie aussi. Je traque dans le ciné ce que je recherche en musique. »

Outre ses influences eighties, la new et la synthwave (« ce sont des sonorités que j’apprécie mais j’aime bien les déformer« ), son album Earworm n’est pas sans évoquer les Liars de TFCF (le disque enregistré par Angus Andrew tout seul en Australie) et les Canadiens de Suuns… « Quand t’écoutes Godspeed, tu as envie de pleurer. Quand t’écoutes Angèle, ça va te foutre le smile. Ici, on est à la croisée d’un truc. Ni triste ni joyeux. Toujours mystérieux. J’ai quand même aussi pensé à un post-punk plus space, de niche. »

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Le titre de l’album Earworm (« une mélodie qui reste dans l’oreille ») fait écho au ver de terre qui lui titille le tympan dans le clip de Dead Beat, à la surdité qui l’a frappé il y a plus de dix ans et à l’esprit contagieux du disque. « Ça faisait sens sur plein de trucs. J’ai eu une mutation génétique dans l’oreille. Un truc qui arrive aux jeunes hommes au début de la vingtaine. C’est vraiment pas de bol. Je me souviens, j’avais été voir un concert de K-Branding. Ça allait surfort. Je pensais que c’était ça. J’ai bien cafardé d’y avoir participé mais ça n’avait rien à voir. J’avais une tumeur. Depuis, on l’a enlevée. C’était bénin. Je suis bien portant. Je n’entends juste plus rien d’une oreille. Ce qui n’est pas si handicapant. C’est troublant. Il a fallu réapprendre. Ça a été un an un peu chiant. Mais ça va. J’étais déjà sourd avant qu’on commence BRNS. Je ne veux pas me lamenter sur mon sort. J’ai juste un rapport à la musique différent. Je n’ai pas la stéréo. Je dois l’imaginer. Je peux plus écouter les Beatles au casque. »

Paradoxant – « Earworm »

Distribué par Humpty Dumpty. ****

Paradoxant:

D’après le dictionnaire de sociologie clinique, un système paradoxant, par son organisation, ses modalités de communication et son langage, confronte les individus à des dilemmes insolubles, des exigences contradictoires et des injonctions paradoxales. Antoine Meersseman a plutôt bien choisi le nom de son projet solo. Tourmenté par notre époque, le bassiste de BRNS signe avec Earworm un premier album à la fois pop et dissonant. Un disque d’ambiance (froide) avec des singles (Dead Beat, Faster, Ha Ha Ha Ha). Post punk, kraut, synthwave… Ou quand Angus Andrew des Liars file rendez-vous dans une cave de Bruxelles à Elli et Jacno.

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