Justine Triet, troisième réalisatrice sacrée à Cannes: ce qu’on a pensé du palmarès (analyse)

Justine Triet
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La Française Justine Triet a remporté la Palme d’or du 76e festival de Cannes pour « Anatomie d’une chute », brillante dissection d’un couple. Elle est la troisième réalisatrice à obtenir la distinction suprême.

Un palmarès cannois faisant l’unanimité ou presque, c’est rare. Le jury présidé par Ruben Östlund a relevé le défi en couronnant, avec Anatomie d’une chute, de la cinéaste française Justine Triet, l’un des incontestables coups d’éclat de la sélection, tout en veillant à distinguer la crème d’une compétition peu avare en temps forts. Pour son quatrième long métrage, l’autrice de Victoria obtient donc la distinction suprême, devenant la troisième réalisatrice lauréate de la Palme d’or dans l’histoire du festival, après Jane Campion pour La leçon de piano en 1993, et Julia Ducournau pour Titane il y a deux ans. Anatomie d’une chute opère la dissection impitoyable d’un couple à travers le procès d’une écrivaine – Sandra Hüller, formidable d’opacité – soupçonnée d’avoir tué son mari. Meurtre ou suicide ? La recherche d’une fort hypothétique vérité offre à la cinéaste l’occasion de se livrer à une variation brillante sur le film de procès, dont elle réinvente forme et enjeux, pour laisser le spectateur suspendu au trouble généré par ce drame à l’efficacité d’un thriller. Une Palme d’or méritée, saluant un film remarquable d’intelligence et d’inventivité.

Seul film qui aurait pu la lui contester, The Zone of Interest, de Jonathan Glazer, obtient le Grand Prix du jury. Le cinéaste britannique, auteur il y a tout juste dix ans du mémorable Under the Skin, y adapte Martin Amis (disparu le jour de la première cannoise). Et signe une oeuvre d’une impressionnante rigueur formelle, en prise sidérante sur la banalité du mal, à travers le quotidien du commandant d’Auschwitz et de sa famille, installée à côté du camp. Glaçant et magistral.

Tran Anh Hung obtient, pour sa part, le prix de la mise en scène pour La passion de Dodin-Bouffant, et c’est peut-être la seule vraie surprise du palmarès, le film, célébration onctueuse de l’art culinaire et de l’amour, ayant profondément divisé par sa facture quelque peu anachronique. Le prix du jury à Aki Kaurismäki pour Les feuilles mortes est, lui, conforme à la logique, le réalisateur finlandais ayant enchanté avec cette petite merveille de poésie aussi laconique que généreuse qui orchestre la rencontre de deux laissés pour compte sous le regard bienveillant de… Chaplin.

Wim Wenders convoque pour sa part l’ombre de Ozu dans son Perfect Days qui suit le quotidien d’un préposé à l’entretien des toilettes de Tokyo – un modèle de cinéma zen récompensé par l’intermédiaire de son comédien, l’épatant Kôji Yakusho. Le prix d’interprétation féminine va, pour sa part, à Merve Dizdar, magnifique dans Les herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan. Enfin, le prix du scénario à Yuji Sakamoto pour Monster, d’Hirokazu Kore-eda, ne se discute guère, le film, évoquant un Close nippon, jonglant avec brio avec les points de vue comme pouvait le faire le Rashomon de Kurosawa.

Qui dit palmarès dit forcément déçu(e)s. Elles ont pour nom Alice Rohrwacher, dont le remarquable La Chimera, et sa quête de transcendance, aurait assurément mérité de figurer au tableau d’honneur. Ou Catherine Breillat dont l’on aurait bien vu L’été dernier salué par l’entremise de son actrice Lea Drucker, stupéfiante. Ou encore Kaouther Ben Hania, dont Les filles d’Olfa brillait par son audace formelle. La réalisatrice tunisienne se consolera avec l’oeil d’or du meilleur documentaire, qu’elle partage avec la Marocaine Asmae El Moudir, pour La mère de tous les mensonges, présenté à Un Certain Regard.

Enfin, si la Caméra d’or du premier long métrage va au Vietnamien Pham Thien An pour L’arbre aux papillons d’or, découvert à la Quinzaine des cinéastes, deux films belges se sont également distingués sur la Croisette: Augure, de Baloji, prix de la Nouvelle Voix à Un Certain Regard, et Il pleut dans la maison, de Paloma Sermon-Daï, prix French Touch à la Semaine de la critique.

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