« Inspiré de faits réels… » (air connu)

Guillermo Francella et Peter Lanzani dans El Clan de Pablo Trapero. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Mieux qu’un slogan porteur, il y a là l’expression d’une tendance lourde du cinéma contemporain: les films tirés d’histoires vraies sont toujours plus nombreux sur les écrans, en une application limpide du constat voulant que la réalité soit souvent plus forte que la fiction.

« Based on the true story that shocked Argentina in the 80’s », annonce l’affiche de El Clan, le nouvel opus de Pablo Trapero. Mieux qu’un slogan porteur, il y a là l’expression d’une tendance lourde du cinéma contemporain: les films tirés d’histoires vraies sont toujours plus nombreux sur les écrans, en une application limpide du constat voulant que la réalité soit souvent plus forte que la fiction. A tel point que le label « inspiré de faits réels » figurant en ouverture de générique a aujourd’hui valeur de panacée scénaristique (sinon de gage de qualité), ou peu s’en faut. En douterait-on qu’un simple coup d’oeil aux sorties des premiers mois de 2016 suffirait à s’en convaincre, où aux innombrables films à caractère biographique (Joy, Elser, Danish Girl, Legend, Chocolat, Steve Jobs, The End of the Tour… ) se sont ajoutés les drames empruntant qui à des faits divers (Les Chevaliers blancs, Room, Spotlight), qui à des pages méconnues de l’Histoire (Francofonia, Les Innocentes), quitte à ce qu’elle confine au mythe, comme dans The Revenant.

N’y en aurait-il pas encore assez que l’on pourrait citer Concussion ou Eperdument, la liste semblant virtuellement inépuisable. Dans le même ordre d’idées, et à titre purement indicatif, on rappellera que la récente cérémonie des Oscars a massivement couronné des oeuvres puisant à la manne des histoires vraies, les Spotlight, The Revenant, Room, et autre Danish Girl susnommés, rejoints par The Big Short et Bridge of Spies.

Fidélité et licence artistique

Pour autant, un emprunt à la réalité n’est pas l’autre, et il y a un monde entre un Room n’entretenant qu’une filiation lointaine avec les faits divers sordides se trouvant à sa source et un Elser s’en tenant à une relecture scolaire du parcours de l’homme qui tenta d’assassiner Hitler en 1939. Spécialisé dans l’analyse de données, le site information is beautiful, relayé par Télérama, s’est ainsi amusé à mesurer, scène après scène, le degré de véracité de dix films inspirés de faits réels. Les résultats sont aussi passionnants que surprenants, dont il ressort que si The Big Short affichait un indice de fidélité de 88,4%, celui de The Imitation Game n’était que de 35,7%. La licence artistique est passée par là, en effet, dont un Todd Haynes a su faire fort bon usage dans I’m not there, son portrait éclaté de Bob Dylan, tandis qu’un David Mamet pouvait ouvrir son Phil Spector tourné pour HBO sur la mention « This is a work of fiction. It’s not based on a true story », quand bien même Phil Spector et Lana Clarkson en étaient des personnages.

C’est cette même liberté qui permet aujourd’hui à Pablo Trapero d’embrasser un horizon plus vaste que celui du seul fait divers crapuleux, question de regard notamment. S’étant pour sa part librement inspiré de l’affaire de L’Arche de Zoé pour Les Chevaliers blancs, Joachim Lafosse expliquait dernièrement à Focus comment il avait appréhendé son sujet: « Il y a l’objectivité journalistique: c’est le rapport, le compte rendu du fait. Il y a la vérité judiciaire, c’est le jugement, le verdict. Et puis il y a le travail de l’artiste, du cinéaste: c’est l’expression d’une subjectivité. Un cinéaste qui n’est pas dans l’interprétation n’est pas un cinéaste. » On ne saurait mieux dire…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content