Critique

[À la télé ce soir] Colonia Dignidad, une secte allemande au Chili

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Vous connaissez peut-être déjà vaguement l’histoire. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est en ruines. Ses habitants n’ont aucune perspective d’avenir. Né le 4 décembre 1921 à Troisdorf, en Allemagne de l’Ouest, Paul Schaefer est un ancien caporal SS, un brancardier militaire du IIIe Reich à l’oeil de verre qui sait vendre du rêve et manipuler les gens. Schaefer regroupe des personnes en quête de paix, d’espérance et de fraternité. Prédicateur autoproclamé devenu pasteur luthérien, il utilise la religion comme moyen de soumission et le caritatif pour masquer ses méfaits à travers l’ouverture de maisons de jeunes. Les veuves de guerre dans le besoin lui sont reconnaissantes. Il sauve leurs enfants (les petits mecs surtout) et obtient même la garde de certains. Chaque soir, l’oncle Paul fait venir un garçon dans sa chambre. Dans son lit même. Poursuivi pour actes sexuels avec des mineurs, il prend la poudre d’escampette. Effroyable mais tristement banale histoire de pédophilie sous couvert religieux? Pas que. En 1961, durant la guerre froide, Schaefer cherche un point de chute pour lui et sa communauté. Le Chili sera la solution à ses problèmes.

En Amérique du Sud, à 350 kilomètres de Santiago et à l’écart de toute civilisation, 300 expatriés allemands vont l’aider à fonder une colonie à partir de rien. La Colonia Dignidad, un village teuton en apparence idéal, s’étale sur par moins de 30 km2. Schaefer leur avait vendu du rêve, de l’amour, une éducation pour leurs enfants… Les hommes, les femmes et les gosses prennent surtout part au chantier, triment comme des boeufs. seize heures par jour pendant un an et demi. Schaefer, lui, dort et joue avec les mioches. Il les écarte de leurs parents. Le temps des travaux, leur dit-on. Il n’y a pas d’école, pas de radio, pas de journaux, pas de télévision. Noël et les anniversaires sont supprimés. Certains ne savent même pas quel âge ils ont. Le temps restera suspendu pendant 40 ans.

Basé sur de très riches images d’archives, le passionnant et terrifiant documentaire en quatre parties d’Annette Baumeister et Wilfried Huismann raconte au milieu de nulle part (« à qui aurait-on pu en parler à part aux arbres, aux chevaux et aux lapins? ») la création hallucinante d’une petite ville mi-secte mi-camp de travail. L’emprise psychologique d’un homme glaçant et son jeu de dupes dans le système politique de l’époque. Séparation des sexes (tout échange est proscrit), privation de parole, drogue au Valium… Sévices sexuels, trafic d’armes, manipulations génétiques… Les témoignages deviennent au fil des minutes de plus en plus insoutenables. Une plongée documentée dans l’horreur.

Série documentaire d’Annette Baumeister et Wilfried Huismann. ****

Mardi 10/3, 21h45, Arte.

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