L’édito : Top of the pops

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Avec la disparition de la Reine Elizabeth II, le Royaume-Uni a certes perdu une souveraine, une mère, un gri-gri, un phare, un ange gardien, mais le monde, lui, a perdu un joyau pop. En 70 ans de règne, The Queen s’est en effet assuré, à l’insu de son plein gré, une place de choix dans le panthéon de la pop culture mondiale, quelque part entre Dark Vador et Harry Potter. Comme eux, elle a d’ailleurs sa figurine totémique, affublée non pas d’un sabre laser mais d’un bras articulé mimant sa fameuse signature gestuelle.

La jeune Elizabeth Windsor a flirté avec la modernité dès son couronnement précoce

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance, le conservatisme endémique de la monarchie autant que le sens aigu du devoir de Sa Majesté, bien déterminée à maintenir l’institution dans son bocal de formol, se prêtant assez peu a priori aux facéties et détournements qui transforment d’ordinaire le plomb d’une charge ingrate héritée à la naissance en objet de culte et de dévotion capable de souffler le chaud comme le froid, la coolitude comme la rigidité.

Si ce n’est de la couronne elle-même, c’est donc de l’extérieur que sont venus les petits croche-pattes qui ont mis un peu de frivolité dans le thé royal. Même si on rappellera qu’avant de se résoudre à faire fructifier son image en autorisant ad nauseam les produits dérivés à son effigie ou de prêter sur le tard son sourire de cire à quelques mises en scène dopées à l’humour british -son saut en parachute avec Sir James Bond lors des JO de Londres en 2012 ou le tea time partagé avec l’ours Paddington pour son jubilé de platine en juin dernier, ce genre-, la jeune Elizabeth Windsor a flirté avec la modernité dès son couronnement précoce, célébré en mondovision, une première dans l’Histoire alors encore balbutiante de la télévision. Quelque part, sans écorner en apparence les traditions, elle inscrivait déjà son règne dans une forme de spectacle, au sens debordien du terme.

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Reste que ce sont surtout des roturiers, parfois même des ennemis jurés de Buckingham, qui vont paradoxalement propulser la monarque à l’avant-plan de la postmodernité. Et qui d’autres que les artistes, ces agitateurs sans foi ni loi, pour commettre le crime de lèse-majesté? Première entorse à l’étiquette, et non des moindres, en 1977, lorsque les Sex Pistols font de la reine le symbole du régime totalitaire que les punks, et avec eux une frange grandissante de la population, dénoncent à cor et à cri. En l’occurrence sur le coup de tonnerre God Save the Queen. La jeunesse étouffe sous le poids des conventions et la contre-culture fait souffler un vent de révolte en s’attaquant notamment aux symboles du pouvoir. La bande à Sid Vicious ouvre une brèche dans laquelle vont s’engouffrer ensuite quantité de profanateurs, de Andy Warhol avec son portrait pop de la matriarche à des émissions satiriques comme Spitting Image la représentant sous les traits d’une grand-mère dégénérée.

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Après la charge politique viendra la récupération d’une “marque” devenue subitement cool malgré sa ringardise. Ou à cause d’elle, la hype se nourrissant de tout, même d’une institution qui tient son autorité de Dieu. D’autres ont connu le même sort, mais pas toujours de leur vivant, n’ayant pas eu sa longévité exceptionnelle. On pense à un Louis de Funès, hier pris de haut par la critique et l’intelligentsia parisiennes, aujourd’hui acclamé pour son génie et objet récemment d’une expo hagiographique à la très sélect Cinémathèque française.

Elizabeth s’est-elle réjouie de ce tour de passe-passe qui lui a permis de gonfler les rangs de ses admirateurs et accessoirement d’entretenir l’illusion d’une monarchie évoluant avec son temps? On peut en douter. Elle aurait sans doute préféré vivre à l’ombre de ses palais, entourée de ses majordomes, de ses corgis, de ses chevaux et d’une poignée d’amis bien-nés comme elle, sans avoir à se coltiner les caprices et le mauvais goût d’une société en pleine crise d’adulescence. Mais contre mauvaise fortune (toute relative bien sûr), elle a fait bon cœur, s’accommodant de cet étalage de vulgarité sans se défaire de son légendaire flegme. Chapeau!

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