Les séries télé culte menacées de disparition?

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Avec les plateformes de streaming, on a parfois l’impression que les séries télé historiques seront toujours à portée de clic. C’est oublier que les catalogues appartiennent à des majors, qui peuvent fermer le robinet à tout moment. Pour éviter que des The Wire ou The Sopranos disparaissent des écrans, il serait peut-être temps de garantir un accès universel à ce patrimoine culturel.

La question donne des sueurs froides à tous les «sérievores»: risque-t-on de voir disparaître des écrans les séries culte qui ont marqué l’Histoire de la télé, singulièrement depuis que cette dernière est sortie du coma créatif? Un cauchemar qui a failli devenir réalité en France quand la chaîne payante OCS a annoncé au début du mois avoir perdu le fabuleux catalogue HBO (en Belgique, il est distribué par BeTV). Du lourd, du très lourd même: HBO, c’est The Wire, The Sopranos, Six Feet Under, Veep, True Detective, Game of Thrones ou encore Succession. Rien que ça. Prime Video (pourtant concurrent de la chaîne américaine partout ailleurs dans le monde) a flairé le bon coup et a entre-temps fait main basse sur la poule aux œufs d’or. Les abonnés français d’Amazon pourront ainsi s’offrir le Pass Warner à partir de mars moyennant un petit supplément.

Un avant-goût de scénario catastrophe qui montre la grande volatilité des contrats de diffusion, et interroge sur les garanties d’accès du public à ces joyaux de la pop culture. Game of Thrones est un peu le Star Wars de la Gen Z. Ne devrait-on pas dès lors protéger ce patrimoine pour qu’il ne se retrouve pas un jour prisonnier d’un conflit juridique ou ne tombe dans les limbes faute d’intérêt économique de l’un ou l’autre ayant droit? Ce qui se joue ici n’est pas anodin. Les séries prennent désormais une place centrale dans la fabrication des imaginaires. Pour beaucoup, c’est d’ailleurs devenu la seule nourriture cérébrale, pour le meilleur parfois, pour le pire souvent.

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Prendre le risque de se priver des classiques du genre, ce serait comme vouloir comprendre le XXe siècle en arrachant les pages qui concernent la guerre froide. Imagine-t-on le Louvre ou le MoMA fermer leurs portes du jour au lendemain, ou Le Bruit et la Fureur de Faulkner ou L’Étranger de Camus disparaître subitement des librairies et des bibliothèques? Et encore, dans le cas de l’édition, il existe les objets, qui peuvent alimenter un marché d’occasion. Les œuvres-clés pourraient encore circuler pendant un certain temps. Alors qu’au royaume du streaming, cette mémoire physique tend à disparaître pour les créations audiovisuelles, plaçant de fait l’amateur à la merci du bon vouloir forcément intéressé des majors.

À l’heure du numérique, des serveurs mastodontes (et du piratage), on peut avoir la fausse impression que les biens culturels les plus essentiels seront toujours disponibles en deux ou trois clics. En réalité, le trop- plein de produits médiocres peut cacher une pénurie de caviar. Mais même sans envisager le pire, du genre une panne de courant généralisée ou une cyberattaque qui effacerait les perles des catalogues et nous condamnerait à l’amnésie, il serait peut-être temps de créer un dépôt légal pour les séries nées sous streaming (certains pays ont déjà élargi le système aux oeuvres immatérielles avec des robots qui enregistrent sans distinction tout ce qui est diffusé sur les écrans). Ou mieux car plus efficace que le trou noir des archives du Web, d’investir dans des “sériethèques” comme il existe des cinémathèques dans le monde entier. On aurait ainsi un back-up accessible au plus grand nombre et immunisé contre les éclipses impromptues. Un petit pas pour l’humanité, un grand pas pour la sériephilie. Morale de l’histoire: si vous avez encore un lecteur de DVD dans la cave, ne le jetez pas tout suite…

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