Nuits Bota : Isha et Limsa, taille patrons

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mercredi soir, les Nuits Botanique proposaient une affiche rap mixte particulièrement alléchante. Avec notamment le carton de la bromance Isha/Limsa

C’est tout ce qu’on voulait voir. Du soleil, enfin, de la douceur, et surtout des escaliers du Botanique remplis, squattés par le public venu prendre l’air entre deux concerts. Désolé pour le point météo, mais c’est aussi à ça qu’on voit que les Nuits Bota sont un vrai festival : aussi « urbain » et indoor soit-il, il n’a pas la même saveur selon la couleur du ciel. Alors, quand le thermomètre, qui semblait plafonner à 5 degrés depuis 6 mois, se pique de faire une pointe estivale, forcément, ça détend. Ajoutez le jour férié, et le début d’un long « pont » pour certain, et, oui, il régnait comme un léger parfum d’euphorie mercredi soir. Voire de fête.

Au Musée, Lazuli et Angie n’avaient d’ailleurs pas d’autres ambitions. C’est sur scène que les deux rappeuses françaises se sont rencontrées pour la première fois. Et c’est encore là que la sororité badass qui existe entre celles qui ont sorti un premier projet en commun fin de l’année dernière, fonctionne le mieux. Pas besoin de chipoter : en deux, trois titres canailles, le binôme a déjà mis le public dans sa poche. Pétrolant entre rap et reggaeton, Angie et Lazuli ont l’air de vivre leur meilleure vie. Au point de réussir à jouer les stars, tout en vous donnant l’impression de voir vos meilleures copines sur scène. « J’ai envie de descendre chanter avec vous ! », s’enthousiasme Angie.

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La bromance Isha & Limsa

On s’éclipse malgré tout pour filer à l’Orangerie. Et retrouver un autre duo rap, masculin cette fois : Isha et Limsa d’Aulnay. Avec le premier volet de leur collaboration, intitulé Bitume Caviar, le binôme bruxello-parisien a sorti l’un des disques rap francophone les plus marquants de 2023. Pas un hasard donc si le ticket Isha/Limsa se présentait comme la tête d’affiche du jour. Avec un bon gros sold out, et, dans le public, des visages connus comme Veence Hanao, l’actrice (et soeur d’Isha) Bwanga Pilipili ou encore le tout fraîchement primé Romain Garcin, Flamme de la cover de l’année pour sa DA de Bitume Caviar. Du beau monde pour une ambiance des grands soirs.

D’autant que, programmé juste avant, Jewel Usain a également sorti l’un des albums qui ont compté ces derniers mois. Sur Où les enfants grandissent, le rappeur ajoute une nouvelle musicalité à sa proposition, trouvant le juste milieu entre ego trip et mise à nu. Sur scène, il est ainsi accompagné d’un trio batterie (Clément Cliquet), guitare (Antonin Fresson), les claviers et la trompette étant tenus par Rémy Béseau. Un musicien multicasquettes bien connu de nos services, et dégoupilleur de pas mal de trix sur Où les enfants grandissent.

Malgré cela, on doit bien confesser rester toujours un peu soupçonneux envers les formules rap live en band, qui ont souvent plus d’intérêt sur le papier qu’en réalité. Mercredi soir, pourtant, Jewel Usain a parfaitement réussi son coup. Sans doute parce qu’il ne se laisse jamais déborder par la formule, gardant le cap de son rap. Ici, même quand le groupe prend la main – le solo de trompette sur OLGG -, il évite de glisser vers la chanson ou la variété.

Le va-tout de Jewel Usain

Après avoir démarré en douceur, Jewel Usain ramène d’ailleurs DJ Neptune pour « backer » et ambiancer un peu plus l’Orangerie – « On est là pour faire la fête ou quoi ? ». Avec, en feu d’artifice, le titre Ça va rentrer, qu’Usain finit d’exécuter dans la fosse, au milieu du public – et ponctué d’un « Nique les fachos ». Bien joué. Le rappeur parisien aurait pu s’arrêter là. Mais à l’instar d’un concert habilement séquencé, et qu’il présentera encore ce soir à Jazz à Liège, il prend le risque de terminer en ralentissant le tempo, privilégiant l’émotion.

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Il faut dire que c’est l’une des composantes essentielles d’Où grandissent les garçon. Un disque qui n’a pas peur d’afficher ni sa sensibilité, ni ses questionnements. Le genre d’album viscéral, dont on comprend vite qu’il n’est pas un projet de plus pour son auteur, 34 ans au compteur. Mais bien son va-tout, sans retour en arrière possible. Peut-être pas une question de vie ou de mort, mais bien un disque qui ose mettre ses tripes sur la table, et ses fragilités en lumière. Y compris en questionnant sa propre masculinité et le poids toxique du patriarcat. En toute fin, sur Incapable, Jewel Usain rappe par exemple : « On est claqué pour dire ce qu’on ressent/Alors je vais m’assurer que mon fils soit doué/Peut-être que ça déteindra sur nous à la longue ». Croisons les doigts…

Isha & Limsa, brut de décoffrage

Egalement trentenaires, Isha et Limsa ont eux aussi des anciens réflexes à casser. Et deux, trois ardoises à régler. « J’ai déjà pris la veste d’un mec pour l’essayer avant de lui dire que c’était plus la sienne », avoue Limsa, d’entrée de jeu. Faute avouée, à moitié pardonnée. Le restant du chemin étant peut-être la plus compliqué à accomplir. C’est que la rue n’est jamais très loin. « Y a pas de lumière en bas de mon lotissement », raconte simplement Isha. En une phrase, le décor est planté. Et le combat entre le bien et le mal, la rédemption et les tentations, posé. La force des deux rappeurs tient dans leur manière très crue de l’exposer. Là où Jewel Usain s’en sert comme moteur, Isha et Limsa se contentent de décrire, impitoyablement, jamais très loin du film noir.

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L’énergie des deux concerts est d’ailleurs très différente. Le premier cherche la lumière ; les seconds tâtonnent dans un épais brouillard, la plume imagée, volontiers fendarde, mais aussi désenchantée. Usain arpente la scène, saute, chante. La paire Isha/Limsa se la joue statique, rappant à l’os. « Moi, tu me verras jamais faire du rap à la con/ou bien me dandiner avec des mouvements atroces », dixit Isha, sur Plan B. Le seul jeu de scène du binôme consistant à ramener deux chaises, le temps de balancer A mes yeux, tels des vieux bluesmen sentimentaux.

Rap de puristes

C’est du rap de Tonton – le calembour de fin de soirée de Limsa. Mais des tontons toujours flingueurs, dont chaque phase déplie un monde en soi. Anti-spectaculaire au possible, mais débité et conté avec une précision diabolique, magnétique même. Un truc de puristes qui gâtent les initiés en glissant des freestyles toujours inédits (la fameuse Grünt #55, au Bataclan) ou des bonus tracks (Dans la tête, CR 600). Et qui, quand ils invitent d’autres rappeurs à leurs côtés, se foutent d’aller chercher le dernier nom à la mode. Et préfèrent convier plutôt des proches – JeanJass sur Flûtes recyclables, autre gloire locale évoluant en binôme (« Caballero n’a pas pu être là, il tourne un clip pour son album. Mais je ne vous ai rien dit », précise l’intéressé).

 Le public, certes acquis à la cause, ne s’y trompe pas, et fait un triomphe à ses antihéros préférés. « Arrêtez, je vais commencer à être ému », glisse Isha, visiblement touché. En guise de rappel, les deux ressortent encore le morceau Starting Block (sur l’EP Logique Pt2, de Limsa). « Plus de 10 ans que je suis connu dans la ville/Je rappais déjà comme un New-Yorkais », y rappe Isha. De fait, mercredi soir, on n’a pas vu le futur du rap. Mais bien son essence-même.

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