Le dimanche, source de bonheur ou de stress?

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pour certains, comme l’écrivaine Lydie Salvayre, le dimanche est une épiphanie. Pour d’autres, comme moi, il ressemble plutôt à une épreuve.

Comme beaucoup, l’écrivaine Lydie Salvayre (Pas 
pleurer, Goncourt 2014) n’aime pas les dimanches, elle en raffole. Pour cette adepte de l’oisiveté -ce qui ne l’a pas empêchée de devenir psychiatre-, ils ont la texture et la saveur des petits pains moelleux. Dans un court essai vif et poétique qui s’abreuve à la source de ses auteurs fétiches (Rabelais, Cervantes…), elle chante les bienfaits du repos dominical, entre réveils tardifs, temps distendu, moments à soi et léthargie auto-thérapeutique. Son titre est à lui seul une invitation à la sieste et à la flânerie: Depuis toujours nous aimons les dimanches (Seuil).
Et c’est parce qu’elle chérit plus que tout cette bulle d’oxygène dans un quotidien comprimé que la romancière-essayiste trempe sa plume dans l’acide pour tancer tous ceux qui tentent de gâcher cette fête hebdomadaire. Dans sa ligne de mire: les suppôts du business qui ne pensent qu’au fric, les ayatollahs de la productivité et de la performance, bref tous ceux qu’elle appelle les « apologistes-du-travail-des-autres« , de préférence payés au Smic. Une logique consumériste aussi absurde que néfaste. Pour le bien-être psychique mais aussi pour l’environnement. Surconsommation rime avec surexploitation, des humains comme des ressource.

Dans la lignée de manifestes comme Le Droit à la paresse de Paul Lafargue (1880) ou plus récemment de Paresse pour tous de Hadrien Klent (2021), l’autrice de Tout homme est une nuit dénonce en pointillé l’hypocrisie d’une société qui prône l’épanouissement individuel dans la publicité, (sur)valorise les concepts de plaisir, de coolitude et de slow motion, mais impose dans les faits à la grande majorité de marcher au pas, et même au pas de charge. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais…
J’aimerais partager son enthousiasme, traverser le 7e jour dans une décapotable les cheveux -ou ce qu’il en reste- au vent, un coude nonchalamment posé sur la portière et le regard perdu sur la ligne d’horizon, mais chez moi le dimanche, c’est à chaque fois un rendez-vous manqué avec mon insouciance. Et ça fait plus de 50 ans que ça dure…
J’exagère un peu. En général, le matin passe comme une couque (logique pour un dimanche…). Je peux m’adonner à mes passions le cœur léger. Changement d’ambiance sur le coup de midi. Un petit pois surgit dans l’abdomen. Pas assez gros pour saboter la journée mais déjà assez volumineux pour profaner la joie de l’instant.

À 15 heures, la graine verte a muté en balle de ping-pong. Et quand la nuit expulse le jour, c’est une orange qui s’est logée dans ma gorge. Le blues fait son office. Réminiscences d’angoisses scolaires? Vertige existentiel profitant du vide pour s’installer? Culpabilité très judéo-chrétienne? Des années d’analyse n’y suffiraient pas pour démêler l’écheveau.
À défaut de lâcher prise comme Lydie Salvayre, je ruse, je m’échappe dans des vieux films, je m’évade dans des récits éloignés de ma réalité. Parfois ça marche, parfois pas. Et dans ce cas, je vais me coucher, dans l’angoisse et la mauvaise humeur, avec un (avant-)goût âcre de lundi dans la bouche. ●

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