C’est arrivé près de chez vous… en 2030

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

A quoi pourrait ressembler nos vacances en 2030, quand l’intelligence artificielle aura colonisé tous les compartiments de la vie? Tentative de réponse… sans l’aide de ChatGPT. Marge d’erreur: 10%.

Cela fait longtemps que les Pelletier ne se disputent plus pour savoir où ils partiront en vacances. Depuis que leur nouvel assistant virtuel familial -baptisé Nestor en référence au majordome de Tintin- épluche les données personnelles de chacun. Sur base de leur humeur, leur bilan de santé, leurs goûts musicaux, leurs historiques de navigation, etc., le concierge numérique propose une destination qui conviendra à la fois aux parents et aux deux kids. Pour cet été 2030, Nestor a ainsi fortement suggéré un trip en Autriche au bord d’un lac de montagne.

Outre que d’après Clim First -un service onéreux qui permet d’avoir les prévisions météo en primeur-, ce serait la seule poche d’air respirable en Europe cet été, tout le clan devrait y trouver son compte: le père, qui rêve sans le savoir de pêcher à la mouche pour retrouver les sensations de sa jeunesse gaumaise. La mère, qui aspire à un peu de tranquillité après une année professionnelle sur la brèche à couver la première portée de dodos, cet oiseau mythique ressuscité grâce à de l’ADN synthétique. L’aîné, qui prépare un ultra trail et compte bien étrenner ses nouvelles baskets à semelles en alliage nanoporeux. Et même la benjamine, qui pourra aller rassasier sa soif de décibels et de rencontres au célèbre festival de la ville voisine. Comme c’est désormais le cas de la plupart des concerts, le line-up est composé uniquement de groupes virtuels. E-Live Nation a profité d’un flou juridique et de l’accord tacite des autorités américaines pour racheter la voix et l’image de tous les artistes bankables. La petite dernière aura peut-être l’occasion de découvrir les Fab Four, avatars officiels des Beatles, qui viendront “présenter” leur “nouvel” album Harmonic Horizons, produit grâce à une IA à partir de chutes de studio et d’enregistrements de conversations houleuses entre Paul et John. Même le père, qui a grandi dans le culte des modèles originaux avec un paternel qui écoutait Sgt. Pepper en boucle, trouve le résultat bluffant.

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Comme d’habitude, le voyage est déjà réservé et planifié d’un bout à l’autre. Avec juste quelques plages libres dans le planning quand même, selon les recommandations fixées à Nestor. Pour le reste, rien n’est laissé au hasard. La voiture semi-autonome est chargée à bloc et la voix de Nina Simone -artificielle mais hyper réaliste- récite le menu de la quinzaine à venir. Ils profiteront du voyage pour rattraper un blockbuster avec Tom Cruise à la manœuvre. Pas le vrai, mort sur un tournage lors d’une cascade en 2026, mais son double digital, plus vrai que nature. Avec l’accord de l’Église de scientologie, Monsieur Mission impossible a accepté de son vivant de continuer à jouer à titre posthume, ce qui a d’ailleurs mis en pétard la guilde des acteurs qui a menacé de faire grève, avant d’accepter les miettes qu’on leur proposait quand ils ont compris que s’ils refusaient, des sociétés chinoises créeraient de toute façon de mauvaises copies d’eux et les feraient jouer dans des films porno…

La voiture file à présent sur l’E411 en direction du Luxembourg, où une première pause est prévue. Mais à la hauteur de Namur, le ciel prend subitement une teinte jaune ocre et une odeur persistante de brûlé envahit l’habitacle, pourtant équipé du système Dyson. Quand il est interrogé, Nestor se veut rassurant. “Juste un feu de jardin”, répond-il. Sauf que les kilomètres défilent et la situation empire. Les occupants ont de plus en plus de mal à respirer. Et bientôt on n’y voit plus à cinq mètres. Le père ordonne à Nestor de faire demi-tour. Mais ce dernier fait la sourde oreille, se contentant de murmurer Daisy Bell de Harry Dacre dans les enceintes. Alors que des flammes géantes lèchent le bitume, le véhicule disparaît dans l’épaisse purée.

Nestor, qui a été programmé pour satisfaire tous les caprices de ses clients, a omis de signaler qu’à cause du réchauffement climatique, les Ardennes sont la proie d’incendies incontrôlables depuis des mois

Morale de l’histoire: profitons des petits plaisirs de l’été (artistes en chair et en os, sorties improvisées, lectures roboratives…) tant qu’il en est encore temps. On vous a concocté un agenda à cet effet… sans l’aide de Nestor.

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