LE CANADIEN NE SURPREND PAS VIA PSYCHEDELIC PILL, ALBUM TAMBOUILLÉ DANS LA VIEILLE MARMITE CRAZY HORSE, MAIS DÉVOILE D’AUTRES INTIMITÉS DANS UNE AUTOBIOGRAPHIE ATTACHANTE.

Alors que les notes électriques du 35e album de Neil Percival Young déchirent une nouvelle fois les contreforts d’un rock cathartique, l’imagination divague sur la personnalité réelle de ce puzzle de 67 piges. C’est quoi, un Neil Young au-delà du mec cousu aux chemises bûcheronnes pré-grunge? Un citoyen qui aime Ronald Reagan dans les années 80? Un rural Californien débordant de compassion pour les fermiers dés£uvrés, fidèle de l’annuel Farm Aid? Une fortune perso évaluée à 65 millions de dollars qui écrit des chansons crève-c£ur sur la solitude et des litanies de larsens ancêtres de Sonic Youth? Un maniaque qui pousse sa double collection de bagnoles et de trains électriques (…) en faisant raquer le quidam à des concerts onéreux? Le père de deux enfants fauchés par des maladies neurologiques qui invente des mondes entiers pour les aimer? Un épileptique échappé de la polio et d’une rupture d’anévrisme? Une énigme ou une rock-star sans orthodoxie? Tout cela mêlé, bien sûr.

La scène d’ouverture des 546 pages d’ Une autobiographie voit Neil déballer un cadeau en famille. Nous sommes au printemps 2011, au Ranch Broken Arrow, propriété de cinq maisons et de plusieurs kilomètres carrés au nord de la Californie. Le présent est une locomotive de triage Lionel, marque fameuse pour le réalisme de ses maquettes: voilà l’un des mantras du bouquin, Young s’électrifie au mouvement perpétuel, en réduit ou à échelle, à hauteur de sol ou d’eau. Trains, bus, bateaux, bagnoles. L’auteur d’albums aussi dark que Tonight’s The Night pisse des pages sur le bonheur des systèmes d’aiguillage, la commande numérique mini-trains, son bus Pocahontas, son bateau W.N. Ragland, sa flottille automobile de raretés vintage dont sa préférée, la Linc-Volt,  » voiture de luxe capable de respecter l’environnement ». C’est l’ADN américain du Canadien Young -résident aux Etats-Unis depuis 1966, il n’en a jamais pris la nationalité-, y compris dans son goût pour le bruyant, le tintamarre, le tanker assumé. Le larsen ou les baffles géants qui ornaient en 1979 sa tournée Rust Never Sleeps, et les moines-roadies envahissant la scène pour régler les micros XXL: la surdimension n’était pas qu’une métaphore. A la page 183 du livre, Neil écrit:  » L’Amérique est un grand pays et le capitalisme est super. »

Bulletin médical

Janvier 2011, Neil arrête l’herbe et l’alcool. Un médecin lui confirme que la fumette dissipe ses neurones, déjà hautement sollicités. Loin d’être une passe littéraire à la Dylan, l’autobiographie de Young incarne une méthode culinaire instinctive, un peu de yin, du yang, et, forcément, beaucoup de Young. Le chanteur zappe constamment dans une écriture ramassée et des chapitres courts -parfois trois ou quatre pages- sur une vie boulimique et triomphante malgré un bataillon de béquilles et de fêlures. L’une des clés livrées ici sans pathos concerne le bulletin médical de la famille: quand le père de Neil se contente de mourir à 87 ans sous le signe de la démence après une vie bien remplie de journaliste-écrivain, les enfants du loner prennent un violent début d’existence. Si l’on omet la dernière arrivée -Amber Young, née en 1984- saine de corps, les deux garçons de Neil sont d’emblée fusillés par le handicap. Enfanté avec l’actuelle épouse Pegi Young, Ben -né en 1978- est autiste et tétraplégique. L’autre fils, Zeke, 40 ans, dont la mère, l’actrice Carrie Snodgress, est morte en 2004 d’une rupture de foie et de c£ur, s’en tire avec une infirmité mentale. Les nombreux passages sur eux deux et la montagne d’efforts -en particulier ceux réalisés pour donner une vie digne à Ben- ne sont jamais larmoyants ou sujets à l’apitoiement: Young y montre un optimisme de forcené. Bluffant. Pourtant, comme si cela ne suffisait pas au glorieux palmarès, Neil nous apprend que Pegi -sa chérie depuis 1978- a échappé à la mort subite suite à une  » malformation artérioveineuse » et que lui-même est un intéressant cas médical. Polio à 5 ans, épilepsie surprise à l’âge adulte et plus récemment, en 2005, anévrisme du cerveau suivi deux jours plus tard d’une hémorragie de l’artère fémorale. De là à ce que la musique de Young ait une certaine substance vitale et une pudeur de timide alignant une histoire sans pathos, c’est rassurant sur l’élevage de la race humaine. Y compris pour un mec qui parvint à trouver en son temps le conservateur Ronald Reagan sympathique…  » Je savoure les instants de bonheur », écrit Neil à la page 489. Nous aussi.

Cheval fou

Le livre est forcément un intense carrefour de rencontres musicales. On y rappelle qu’avec The Squires, Young sixties est signé chez Motown avant que le chanteur de la formation, la future star black funky Rick James (1948-2004), ne soit arrêté pour désertion (Guerre du Vietnam), sabordant aussi sec la prometteuse carrière du groupe. Avec Buffalo Springfield et Stephen Stills, considéré comme  » génie » par Young, le Canadien connaît un premier très grand frisson. Sentiment transporté vers la gloire critique et commerciale avec Crosby, Stills, Nash & Young et tout le cheminement solo qui s’en suit. Celui-ci s’accompagne, dès 1969, de l’association avec le groupe Crazy Horse: là encore, brillance et défaite se marient à la pleine lune -moment chéri par Young pour composer- notamment lorsque notre protagoniste congédie le guitariste Danny Whitten, junkie avéré. On est le 18 novembre 1972, Neil file un billet d’avion et 50 dollars à Whitten et la nuit même, le mec de 29 ans meurt sous overdose d’alcool et de Valium. De tous ces cendres gris et volcans rougis est née une tonitruante énergie, présente sur le nouveau double CD Psychedelic Pill, soit un maximum de marathon électrique. Y compris avec un peu de complaisance: les 27 minutes 36 secondes de Driftin’Back n’ont pas de raison d’être. Parfois, Neil est gavant; souvent, il donne du sens à sa drôle de vie. Mais tant qu’à faire, on préfère le bouquin, plus sismique. l

UNE AUTOBIOGRAPHIE DE NEIL YOUNG, ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR BERNARD COHEN ET ABEL GERSCHENFELD. ****

CD PSYCHEDELIC PILL, DISTRIBUÉ PAR WARNER. ***

TEXTE PHILIPPE CORNET

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