APRÈS LE TRIOMPHE DE TRAMP, L’AMÉRICAINE REVIENT AVEC ARE WE THERE. SANS POINT D’INTERROGATION MAIS AVEC PLEIN DE QUESTIONS SUR L‘AMOUR, QUI NE SUFFIT PAS TOUJOURS POUR FAIRE UN COUPLE…

Comme si cela n’était pas assez, la sono du lobby de l’hôtel en rajoute une couche. Alors que la conversation a pris un curieux tournant « émo », le Wildest Moments de Jessie Ware insiste en musique de fond: « Baby, in our wildest moments/We could be the greatest/Baby, in our wildest moments/We could be the worst of all »… De l’autre côté de la table, Sharon Van Etten, 33 ans, parle de son ex-boyfriend. « Il a décidé qu’il n’avait plus envie d’être avec quelqu’un qui est toujours parti. Quand j’ai eu terminé le disque, on s’est séparés. On était ensemble depuis 10 ans… »

Evidemment, Are We There, le 4e album de l’Américaine, ne parle que de ça. Les questionnements, les tiraillements, le besoin de se réaliser, les sacrifices nécessaires pour y arriver, avec ou sans l’autre… « La plupart des morceaux évoquent le fait d’avoir une relation, d’avoir un travail, et de trouver un équilibre entre les deux. J’ai besoin de tourner, de monter sur scène tous les soirs. Mais il faut assumer d’être absente neuf mois sur l’année. A la maison, il y a quelqu’un que vous aimez, qui vous aime, mais qui passe son temps à vous attendre. Ce n’est pas facile à admettre, de constater que l’on préfère sa carrière plutôt que d’avoir une « vraie » vie… »

En temps réel

Sharon Van Etten, c’est un peu l’équivalent musical d’une Greta Gerwig (Frances Ha). Installée à New York, elle est le prototype de la rockeuse americana « intello », un personnage de série à la Lena Dunham qui aurait passé son temps à écouter Neil Young (et PJ Harvey). En 2012, elle sortait Tramp. Il marquait une étape. Troisième disque, mais premier à être distribué par le label Jagjaguwar (qui abrite notamment Bon Iver, un fan), il avait été produit par Aaron Dessner, l’un des membres de The National, « poids lourd » du rock indie US. En fin d’année, plus d’un magazine a fait de Tramp l’un des albums de 2012. Et Van Etten de voir sa trajectoire s’emballer.

Are We There s’est construit pendant la tournée qui a suivi –« Quand vous passez votre temps à jouer les mêmes titres, c’est assez rafraîchissant de se pencher sur de nouvelles chansons. » Résultat: si ses albums précédents revenaient sur ses expériences passées, Are We There est un disque « en temps réel ». Les questions qu’ils posent sont toujours en cours, ouvertes comme l’est le titre du disque, qui se passe de ponctuation, même interrogative. « I love you but I’m lost », chante-t-elle notamment. « En me consacrant à ma musique, suis-je si auto-centrée que ça? Je lutte vraiment avec cette question. Je sais que j’ai besoin de ça pour me sentir bien. Donc j’écris pour moi. Mais par contre, je monte sur scène pour les autres… » Elle s’arrête un instant, hésite, puis continue: « J’ai bossé dur sur ce disque, comme jamais. J’ai envie que les gens puissent l’entendre. Mais j’ai aussi 33 ans, envie de fonder à un moment une famille, me poser. Finalement, est-ce que tout cela vaut vraiment le coup? »

Pour l’instant, on ne voit en tout cas pas comment elle pourrait s’en passer. C’est évidemment un cliché, particulièrement quand on parle d’une fille qui fait du rock, que d’analyser chaque disque comme une confession, un grand épanchement cathartique. Chez Sharon Van Etten, la démarche est pourtant assumée comme telle -quitte à se coltiner une image un peu dark et austère qui ne lui correspond qu’à moitié (voir par exemple le morceau sous fumette Every Time The Sun Comes Up). « L’avantage est que cela me permet de compartimenter plus facilement les choses. Ecrire des chansons « sombres » me permet de l’être moins dans la vie. Après, c’est vrai que les jouer en live reste parfois difficile. Lors de certains concerts, ma voix tremble. Mais cela a un effet thérapeutique: vous vous obligez à affronter les choses, à les exprimer, mais une fois que vous êtes passé à travers, cela va mieux. Vous avez exorcisé les démons. Même si parfois vous devez les revivre… »

L’Histoire du rock est remplie de disques de « rupture », de Blood On The Tracks à Rumours. Are We There est un peu différent: même si l’issue ne fait plus vraiment de doutes, toutes les questions sont encore sur la table. Il n’est pas non plus acrimonieux ou vindicatif. L’amour est ici impossible à vivre: ce n’est pas pour ça qu’il est absent (Our Love, Tarifa). Voilà peut-être la raison pour laquelle la mélancolie d’Are We There n’est jamais vraiment plombée. Sharon Van Etten a comme qui dirait la tristesse heureuse -après tout, le disque se termine avec des rires…

La fin est ouverte. Tout reste possible. Il suffirait de s’ouvrir aux signes du destin. Pour le clip de Taking Chances, Van Etten a rejoué la scène d’ouverture de Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda (1962). « Cela faisait des années que j’avais cette photo que m’avait offerte l’une de mes meilleures amies. Elle l’avait trouvée dans un livre à la bibliothèque. On ne savait pas de qui il s’agissait, mais elle lui faisait penser à moi. J’ai gardé cette image pendant des années. Récemment, quand le photographe est passé chez moi me montrer l’artwork final de l’album, il est tombé dessus et l’a reconnue: la femme sur l’image, c’était Agnès Varda! Du coup, mon (ex-)copain m’a emmenée voir Cléo de 5 à 7 et j’ai été bouleversée! C’est tellement beau, triste, mais aussi en même temps euphorisant… Du coup, on a demandé de pouvoir glisser l’image dans le livret de l’album -parce qu’elle est tellement liée à moi, et à lui aussi, qui m’a fait découvrir plein de films, de musiques… Au même moment, sans être au courant de quoi que ce soit, mon pote Michael (Palmieri, ndlr) m’a proposé de bosser pour le clip en reprenant une scène de Cléo de 5 à 7! C’était comme si l’univers me lançait un signe, me rassurait sur le fait que je faisais ce que je devais faire. Même si certaines décisions ont été dures, c’était comme un clin d’oeil, pour me dire: « Continue, ce n’est pas simple, mais tu es sur la bonne voie. » »

? SHARON VAN ETTEN, ARE WE THERE, DISTRIBUÉ PAR JAGJAGUWAR.

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? EN CONCERT CE 25/05 AUX NUITS BOTA (SOLD OUT), ET LE 15/08 AU PUKKELPOP, HASSELT.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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