Gustave Kervern et Benoît Delépine font très fort avec l’anarchisant, hilarant et grinçantLouise Michel, farcesociale et criminelle de toute première bourre.

Nous sommes en Picardie, dans le nord, mais ce n’est pas Bienvenue chez les Ch’tis. Ici, les patrons partent avec la caisse et les machines, laissant les ouvrières sans emploi dans une fabrique désespérément vide. Ici, on se rebelle, et il peut venir à l’esprit des travailleuses bafouées de se venger violemment du patron voleur et sans scrupule… Bienvenue chez Louise Michel (1), la comédie assassine de Gustave Kervern et Benoît Delépine où brillent Yolande Moreau et Bouli Lanners. Après les déjà savoureux et décalés Aaltra et Avida, le tandem nous offre la comédie so-ciale et criminelle la plus réjouissante qui soit. Une farce anarchiste bousculant conventions et bienséances avec une drôlerie et un esprit de révolte rarement combinés d’aussi salutaire et roborative façon à l’écran!

Focus: les ouvrières de votre film se révoltent, mais sans slogans, sans hurlements, avec une espèce de discrétion qui pourrait surprendre…

Benoît Delépine: il y a chez les femmes un courage très différent de celui des hommes. Elles tiennent la distance, alors que la plupart des hommes font la grande gueule puis se barrent au premier pépin. Les ouvrières du film prennent leur décision avec calme et détermination, sans pousser de hauts cris. On n’est pas chez Eisenstein, ce n’est pas la révolte drapeau au vent…

Gustave Kervern: comme toujours, nous avons choisi au casting des gens qui vont pouvoir être eux-mêmes devant la caméra. Celles qui jouent les ouvrières ont ces qualités, que nous recherchions, de résolution presque tranquille.

L’actualité récente a encore rendu plus relevant le regard critique sur la société porté par le film. Y a-t-il eu prescience de votre part?

B.P. : nous écrivons tous les jours des sketches pour Groland qui sont en prise directe sur l’actualité, même s’ils la traitent de manière déconnante. Le rouleau compresseur social, nous le voyons arriver depuis 10 ans! Ce qui est hallucinant, c’est que le film devait sortir en juin, qu’il a été reculé (2) et qu’entre temps la crise financière a éclaté. Alors quand on voit dans Louise Michel un paradis fiscal, un banquier qui se fait sauter la cervelle, cela fait bizarre. Nous se-rions passés pour de dangereux gauchistes il y a 6 mois, mais là, plein de gens vont trouver qu’on est assez crédible…

G.K. : je trouve que l’indignation est encore très limitée, malgré tous les mauvais coups qui se multiplient contre les plus faibles. En Grèce, la jeunesse semble avoir pris conscience. Une étincelle et cela sera aussi le cas ici!

Si le film ne parle pas d’elle, le titre évoque la vraie Louise Michel, militante anarchiste du 19e siècle et figure majeure de la Commune de Paris, en 1871. Une manière de signaler que c’est un film anar?

B.P. : déjà Aaltra finissait sur un hommage à un anarchiste, Libertad « le béquillard », même si ce n’avait pas été au départ du film. Ce film-ci, nous aurions pu le faire sans référence à Louise Michel. Mais comme il était question d’un Don Quichotte (nous ne faisons que des Don Quichotte!), nous nous sommes dits que ce serait bien de lui rendre hommage. Comme ça, quand les jeunes iront taper « Louise Michel » sur Internet pour le film, ils tomberont sur des pages concernant la vraie Louise Michel, et en prendront de la graine!

Louise Michel, c’est aussi une belge histoire, avec plein d’acteurs d’ici, et une partie du tournage dans nos riantes vallées…

G.K. : nous adorons être chez vous, écouter les gens parler, baigner dans leur bonne humeur, goûter leur gentillesse. En France, tout ça, c’est fini! Les gens sont tristes, ils ne se parlent plus, et ne sont pas gentils du tout…

B.D. : les Français, quand ils vous regardent, c’est de haut. Ils vous toisent… A Paris, on est avec les morts, à Bruxelles, on est au milieu des vivants!

Espérez-vous qu’un film puisse changer quelque chose?

B.D. : si je n’avais pas découvert, à 16 ans, des magazines comme Pilote et Hara-Kiri, dans mon petit village de Picardie, je n’aurais rien fait de ma vie. Même pas ouvrier agricole, tellement j’étais nul pour tout ça… Alors tout ce que je fais, je le fais pour les gamins de 16 ans, pour qu’ils voient qu’autre chose est possible, au cinéma, pour qu’ils goûtent l’humour noir et bizarre.

G. K.: j’espère que le film peut aider à réveiller les gens, surtout les jeunes. Nous ne sommes pas pour la violence, mais il y a des limites à ce qu’une génération perdue, le nouveau prolétariat, peut accepter sans réagir…

(1) Voir critique en page 29.

(2) Pour laisser de l’espace aux sorties d’Eldorado de Bouli Lanners puis de Séraphine avec Yolande Moreau.

Rencontre Louis Danvers

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