» Ce petit con n’a aucune idée de ce qu’il fait… » Lancée à haute voix par un technicien caméra, hors de portée des oreilles du « petit con » et de son premier assistant, mais suffisamment fort pour qu’une bonne moitié de l’équipe ait entendu, la remarque provoque quelques rires et moues d’approbation. Nous sommes en 1982, sur le tournage d’un film belge dont nous ne révélerons pas ici le nom du réalisateur (un artiste de qualité). C’est une scène vécue, comme il y en eut tant d’autres dans les années 70 et 80. En ces temps pas tellement lointains, les cinéastes belges francophones reconnus internationalement n’étaient pas nombreux. Le jeune talent faisait entendre sa voix, mais sans forcément recueillir le minimum de respect. En ces temps-là, certains critiques de cinéma reconnus estimaient qu’il fallait « abaisser la barre » pour juger du niveau des films belges. En ces temps-là, aussi, l’aristocratie des plateaux, c’étaient nos techniciens. Au son comme à l’image, ces professionnels bien formés dans nos écoles et souvent très aguerris travaillaient, pour les meilleurs, bien au-delà de nos frontières. Et face aux jeunes cinéastes certes parfois un peu hésitants qu’ils étaient censés servir, l’humilité n’était pas toujours leur qualité première. Il se trouvait bien quelques directeurs de la photographie, opérateurs caméra et preneurs de son généreux de leur temps et de leur énergie quel que soit le nom du ou de la cinéaste aux commandes du film. Mais pour les autres, il y avait en gros 2 attitudes possibles: se foutre du résultat final comme d’une guigne et juste faire ce qu’il faut pour qu’aucun reproche technique puisse leur être adressé, ou alors se sentir investi d’une mission capitale, celle d’apprendre la vie au morveux qui se prétendait réalisateur, tout en sauvant à soi seul le film d’un naufrage sinon inévitable… De fait, on a vu des chefs opérateurs s’impliquer dans la réalisation au point d’en changer le cours avec des résultats probants, façon « conseiller artistique ». Mais combien de tournages n’ont-ils pas par ailleurs tourné au cauchemar pour de jeunes cinéastes conscients du mépris rencontré, blessés par le désintérêt de certains collaborateurs, ou carrément humiliés par des réflexions prenant l’ensemble de l’équipe à témoin de leur insuffisance supposée? Pour le journaliste invité sur le plateau d’un film, et exposé aux récriminations de tel ou tel, la position était parfois délicate, face à un metteur en scène voyant son film lui échapper et ses choix lui filer entre les doigts comme des grains de sable… Et puis, en 1991, un certain Jaco Van Dormael remporta la caméra d’Or du meilleur premier film au Festival de Cannes avec Toto le héros, avant de gagner le Prix du public à celui de Locarno, et de se voir attribuer l’année suivante le César du meilleur film étranger. La voie de la reconnaissance internationale était ouverte, et bien des jeunes réalisateurs belges francophones allaient y briller. Désormais, la nouvelle génération allait connaître le respect que la précédente s’était largement vue refuser. Le vent avait tourné. Et quand C’est arrivé près de chez vous triompha à son tour à Cannes et ailleurs, l’année suivante, on put même entendre certains enseignants doublés de techniciens se vanter d’avoir eu les Poelvoorde, Belvaux et autre Bonzel comme élèves. En omettant de préciser qu’ils les avaient alors considérés comme des cancres sans aucun avenir…

L.D.

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