SON VASE DE NOCES A SUSCITÉ DES RÉACTIONS À LA MESURE DE SES TRANSGRESSIONS. MAIS THIERRY ZÉNO N’IMAGINAIT PAS UN TEL SCANDALE.

Le scandale? Thierry Zéno n’y a pas pensé au moment d’entreprendre (à 24 ans!) son premier long métrage, celui-là même qu’une destinée fulgurante, des débats houleux et le couperet des censeurs allaient bientôt transformer en événement. Pas de calcul, aucun opportunisme, dans la création de ce Vase de noces (1974) pourtant promis quasi instantanément au sulfureux panthéon du cinéma le plus transgressif et le plus dérangeant. « Le film n’a été créé ni pour provoquer un scandale, ni même pour recueillir un succès, une reconnaissance, même s’il a eu les deux, explique son auteur, il est simplement né d’un désir, d’une envie de cinéma poétique, nourri de tout ce qui me passionnait à l’époque comme Jérôme Bosch, Antonin Artaud et Jung, sans oublier l’art brut. »

A l’IAD, où il avait fait ses études, Zéno avait découvert Un chien andalou de Buñuel, « que j’avais regardé comme un film plein de signification, plein d’émotion, et pas du tout comme un film scandaleux« . Se replongeant mentalement dans l’époque (le début des années 70), le cinéaste émet l’hypothèse »qu’il y avait peut-être une certaine naïveté, liée à la jeunesse, à ne pas imaginer que Vase de noces pourrait faire tant de remous« . Une fois ces derniers lancés par une controverse critique assez violente, Zéno fit le choix de « laisser dire, de ne pas intervenir pour expliquer: « Non, vous avez tort, ce n’est pas ça du tout! » » Il trouve rétrospectivement « normal qu’il ait pu y avoir, de la part de journalistes, de spectateurs, une réaction de rejet. Je ne vais pas dire à quelqu’un: « Tu n’as rien compris, tu es inculte, tu vois ce qu’il y a dans ta tête et pas ce qu’il y a dans le film… »Il y a le film que j’ai voulu, et le film tel qu’il a été vu, reçu, ressenti. Je respecte toutes les manières de le voir, y compris celle du rejet. »

Si le cinéaste revendique l’aspect « spontané » d’une part importante de Vase de noces, il ne cache pas qu’il est aussi par ailleurs « le fruit d’une réflexion« . « Le personnage est peut-être le premier représentant de l’humanité, il peut être le survivant d’un cataclysme, les deux possibilités devant pouvoir fonctionner dans le scénario« , commente aujourd’hui Thierry Zéno. « Le film a été écrit, il n’a pas été improvisé, poursuit-il, et j’ai préparé différentes strates d’interprétation… Y compris les plus extrêmes. » La réaction la plus surprenante à son film, le réalisateur l’a enregistrée lors d’une projection festivalière au Portugal, dans un village, avec dans la salle « un certain nombre d’agriculteurs… qui ont rigolé comme pas possible pendant la projection! J’avais tout imaginé, mais pas qu’on se marre comme ça… » Peut-être la vision des ébats de Dominique Garny et de sa truie bien aimée rappelait quelques souvenirs à ces paysans bien plus accueillants, en tout cas, que les spectateurs en colère se levant en plein film et quittant bruyamment la salle pour fuir un film qu’ils ne sauraient voir. Une scène vécue dès la projection de Vase de noces au festival de Cannes (à la très pointue Semaine de la critique), et qui allait se répéter avec quelques variantes -insultes, imprécations, claquage de siège- dans les autres manifestations ayant sélectionné l’ovni cinématographique de Zéno. La toute première présentation publique, au Festival international du Cinéma expérimental de Knokke, s’étant déroulée sans incident. Quelques autres, ultérieures, en ayant connu d’assez spectaculaires, comme une descente de police à Perth, en Australie, ou une manifestation de protestation de rue menée par un ecclésiastique dans le même pays. « En arrivant en voiture, avec l’organisateur, j’ai regretté qu’il y ait une manif’ juste le jour de la projection de mon film, se rappelle le cinéaste en riant, mais il m’a corrigé: « Mais c’est justement à cause de votre film qu’ils sont là et qu’ils protestent! » »

De l’art ou du cochon?

Thierry Zéno avoue une référence aux… Trois petits cochons de Walt Disney dans un Vase de noces riche par ailleurs d’une méditation « sur la finitude de l’être humain« , sujet qu’allait creuser son film suivant, l’extraordinaire documentaire Des morts. N’imaginant au départ qu’une diffusion dans le circuit très limité de l’expérimental, le cinéaste a « dû assumer, avec sa distribution plus large, que des gens aiment et que d’autres détestent, que d’autres encore rouspètent… » Le plus frappant, dans les réactions négatives, fut de voir « à quel point la dénonciation de la zoophilie faisait écran au malaise plus grand encore causé par la scatologie. On stigmatisait avant toute chose les scènes somme toute très pudiques, voire prudes, où l’homme et la truie partagent des moments intimes (la zoophilie y est montrée comme elle l’est sur certains vases grecs, les images ne sont pas plus choquantes que ce qu’on peut voir dans les musées!). Alors qu’on ne parlait guère des scènes de coprophagie qui -j’en suis convaincu- suscitaient bien plus le rejet… On n’osait pas en parler parce que ces scènes renvoient à notre inconscient, à notre petite enfance… »

Accompagnant les images en question de musique sacrée, Zéno jouait en toute lucidité sur l' »attraction-répulsion ». Et de conclure: « Je n’ai pas fait ce film pour séduire. Il n’est pas fait pour être aimé. C’est un miroir tendu à nous-mêmes, avec des aspects drôles et puis d’autres qui font peur, qui me font peur à moi-même. La mort me fait peur, comme elle nous fait tous peur! »

Vase de noces fut le premier et dernier film de fiction d’un réalisateur qui a poursuivi dans la voie du documentaire (« Il me permet de ne pas devoir faire de coupure entre ma propre vie et le cinéma« ). Une voie qui lui a permis aussi de « donner la parole aux bâillonnés« , comme les Indiens du Chiapas dans ¡Ya basta! Le Cri des sans-visage, en 1996. Thierry Zéno vient de prendre sa retraite de directeur de l’Académie de Dessin et des Arts visuels de Molenbeek. L’enseignement, la transmission, la confrontation d’un public populaire avec des recherches artistiques parfois très pointues, il a pu les développer de manière excitante dans un quartier à dominante maghrébine. L’idée que les mères voilées amenant leurs enfants à l’Académie puissent découvrir son film le plus fameux, interdit dans la totalité des pays musulmans, amène sur son visage un sourire songeur…

WWW.ZENOFILMS.BE

CHAQUE SEMAINE, RETOUR EN PLAN LARGE SUR UN FILM QUI A CHOQUÉ SON ÉPOQUE.

TEXTE Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content