Impossible de le louper. Le dernier single de Jay-Z, Empire State of Mind, est non seulement le tube du moment, C’est aussi le nouvel hymne de New York.

Comment fabrique-t-on un hit? Certains ont beau avoir tenté de mettre au point des logiciels savants pour cerner le mécanisme du succès, la science du tube reste encore un grand mystère. Mais un hymne alors? Comment pondre un morceau enclin à vous emballer un stade, sans forcément tomber dans le pompier? Qui partirait de la pop et vous taillerait un étendard taille XXL? Pour cela, demandez à Jay-Z… Le patron, aujourd’hui, c’est lui – le King of New York pour le coup. Avec son dernier single, Empire State of Mind, il cartonne à peu près partout. C’est le showbiz américain dans ce qu’il a de meilleur, carré et irrésistible à la fois. En un peu moins de 5 minutes, le rappeur y fait le tour de sa ville, enchaînant les vignettes, avant que la diva soul Alicia Keys ne balance le refrain, imparable – à vous envoyer directement admirer la vue au 102e étage de l’Empire State Building. Lors des derniers matchs de la saison de base-ball, le capitaine des Yankees, Derek Jeter, a fait jouer le morceau à chaque fois qu’il montait sur le terrain. Résultat: l’équipe locale a remporté cette année les world series… Au départ, cela ne tient pas à grand-chose. Un beat malin, un sample accéléré du tube soul sixties de The Moments ( Love On A Two-Way Street), et c’est parti. De la Statue de la Liberté à Brooklyn, de Tribeca à Broadway, New York comme « jungle de béton dans laquelle sont taillés tant de rêves ». Bref, l’endroit où tout est possible, où « les rues vous feront sentir comme neuf ». Depuis combien de temps une chanson n’avait-elle plus célébré à ce point le mythe de cette ville?

New York a toujours été une source d’inspiration pour les artistes. Pour cause: passer pour la capitale économique et culturelle, voire plus simplement le centre du monde, ce n’est pas rien. Au XXe siècle, et encore en grande partie aujourd’hui, Big Apple est l’endroit où se rendre pour réussir. Comme un tremplin pour conquérir la planète. Ou se perdre. Jay-Z: « Since I made it here, I can make it anywhere », « depuis que j’ai réussi ici, je peux réussir n’importe où ». L’allusion est limpide: le rappeur qui se pose en nouveau Frank Sinatra, pour un peu, on y croirait.

En chantant New York New York, The Voice a parfaitement cristallisé l’imaginaire de la ville. En l’occurrence, la vision romantique d’une forêt de gratte-ciels qui bruisse en permanence, une cité qui ne se couche jamais. Là encore, Jay-Z rebondit: « The city never sleeps, better slip you an Ambien… « , « la ville ne dort jamais, vaudrait mieux que je te file un Ambien » (un somnifère, délivré notamment aux pilotes de l’air de l’armée américaine pour les aider à dormir après une mission, ndlr). Décor de film permanent, New York reste ainsi à la base de la mythologie urbaine. Ses tours de béton, ses néons, les fumées blanches qui sortent des plaques d’égoût… Ses avenues ont défini les contours d’une poésie de la ville. Parfois sombre d’ailleurs. Seul ou avec le Velvet Underground, Lou Reed s’est fait une spécialité de décrire les côtés les moins reluisants de New York. Au programme de l’ombrageux rockeur, came, putes et bastons au coin de la rue. Cela donne notamment Waiting For My Man ou, en 1989, le chef-d’£uvre New York.

Malgré cela, la Grosse Pomme n’a jamais cessé de fasciner. Voire d’hypnotiser, comme la lumière à laquelle viennent se griller les papillons de nuit. Son pouvoir d’évocation est universel. Peut-être parce qu’elle est aussi la plus européenne des villes américaines, elle a ainsi régulièrement intrigué jusqu’aux chanteurs français. De Serge Gainsbourg, en 1964, avec New York USA (  » Oh! C’est haut, c’est haut New York », glisse-t-il sur des percussions africaines), jusqu’à Nougaro que la ville électrise et transforme en Nougayork, en passant par Téléphone ( New York avec toi) ou Mathieu Boogaerts ( Keyornew)…

Vague à l’âme

New York a tremblé pourtant. En 2001, ce ne sont pas seulement les deux tours du WTC que les attaques du 11 septembre réduisent en fumée. La ville entière est comme tétanisée. Le rêve s’est transformé en cauchemar. Logiquement, New York se met à chanter un autre air. C’est Bruce Springsteen qui écrit The Rising, en partant des décombres des tours jumelles, ou REM qui compose Leaving New York. Groggys aussi les Sonic Youth (l’album Murray Street, du nom de la rue où était installé leur studio, à quelques pas du WTC) ou encore les Beastie Boys, qui se fendent d’une déclaration d’amour nostalgique à leur ville avec l’album To the 5 Boroughs.

En 2007, LCD Soundsystem sort Sound of Silver. En toute fin de disque, James Murphy y chante New York, I Love You But You’re Bringing Me Down. Comme quoi, les cicatrices du 11/09 ont beau être tout doucement pansées, le vague à l’âme est toujours là. En cela, le tube de Jay-Z marque un tournant. Pour la première fois depuis les attaques, une chanson se plaît à redonner de l’éclat et de l’allant à New York. L’imaginaire étoilé est réactivé plein pot. Un indice: réalisé par la star du genre, Hype Williams, le clip d’ Empire State of Mind joue aux trois quarts sur le noir et blanc. Une touche cool et romantique, un peu à la manière du Manhattan de Woody Allen ou du songwriting élégant de Cole Porter. Evidemment, le discours a évolué. D’ailleurs, la perspective a également changé. Sinatra chantait les espoirs de l’immigrant, celui qui débarquait avec deux francs six sous pour devenir une star. Jay-Z, lui, est né et a grandi à New York. Vu de l’intérieur, le spectacle est forcément un peu différent. A demi-mot, le rappeur fait allusion à son passé de dealer, avant de consacrer carrément un couplet entier à toutes ces filles qui arrivent en ville et voient leurs rêves de gloire s’écraser sur les trottoirs ( « Jesus can’t save you/Life starts when the church ends »). En 2009, on peut donc célébrer New York sans en faire pour autant un dépliant publicitaire. Et puis, il y a la symbolique aussi. Le nouvel hymne de New York est ainsi le fait d’un duo afro-américain, mélangeant hip hop et refrain soul… Dans l’Amérique d’Obama, c’était bien la moindre des choses.

Texte Laurent Hoebrechts

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