Critique | Livres

Oh, Canada de Russell Banks: sombre, déchirant et douleureux

4 / 5
© National

Russell Banks, éditions Actes Sud

Oh, Canada

332 pages

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© National
Philippe Manche Journaliste

Russell Banks a rarement été aussi personnel et touchant qu’avec cet intime dix-neuvième ouvrage.

La récente pandémie a été salvatrice pour l’auteur d’Affliction et d’American Darling. Dans l’impossibilité de voyager, Russell Banks, qui partage sa vie entre la Floride et les Adirondacks, s’est enfermé dans le bureau de sa maison d’un hameau du nord-est de l’État de New York pour réguler sa vie et livrer un poignant Oh, Canada. Est-ce le temps qui passe (Russell Banks a 82 ans)? Le décès de plusieurs de ses amis, dont celui du poète Stan Plumly? Sans doute un peu tout cela à la fois tant ce dernier roman sombre, déchirant et douloureux est hanté par l’agonie et la mort.

Leonard Fife, cinéaste engagé de 75 ans, est rongé par la maladie. Il sait qu’il n’en a plus que pour quelques semaines et accepte néanmoins d’être interviewé chez lui à Montréal sur sa vie, son œuvre par un de ses anciens élèves, Malcolm, qui voit en lui un guide spirituel, politique et professionnel. Fife fait partie de ces 60 000 Américains qui ont quitté leur terre natale pour le Canada à la fin des années 60, “pour éviter que le gouvernement des États-Unis ne les envoie tuer ou se faire tuer au Viêtnam”. Ce conflit absurde est aussi un marqueur dans la vie de Russell Banks, un de ses frères est revenu cramé de son séjour en Asie du Sud-Est. Et en situant ce huis clos cinématographique sur les bords du Saint-Laurent, l’empathique écrivain rend aussi hommage à ses aïeuls: trois de ses grands-parents sont canadiens.

© Chase Twichell

Profonde humanité

Mais pour l’instant, Fife déguste et rien ne nous est épargné dans cette déchéance physique, ni la colère, ni les odeurs… Directif, désagréable et parfois franchement odieux, il fixe ses propres règles à la petite équipe venue recueillir son testament, son héritage. Quant aux entretiens, ils prennent une tournure totalement inattendue lorsque Fife révèle un passé moins glorieux que l’image publique de documentariste de gauche intègre et entier. C’est tout l’art de Banks de nous interroger sur le besoin et la nécessité de faire la paix avec son passé la veille du grand saut quand on a passé l’essentiel de sa vie à jouer du pipeau sur tous les plans. Mais au-delà de ça, quelles sont les conséquences de cette vérité, de cette réécriture de l’histoire auprès des proches (sa compagne) et de Malcolm, qui voyait en Fife un mentor et plus encore. Entre honte et culpabilité, sentiments déjà présents dans son précédent Lointain souvenir de la peau, Russell joue au chat et à la souris et se livre en se remémorant via son personnage principal l’impact majeur qu’a eu Jack Kerouac, cite Bob Dylan, Joan Baez, Coppola… Oh, Canada aurait pu tout aussi bien s’intituler Mon autobiographie telle que je m’en souviens, il n’en reste pas moins marqué d’une profonde humanité.

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