« Quand je deviens cinéaste, je ne suis pas cinéphile. » Voire, toutefois: sa visite à Bruxelles offre à Bertrand Tavernier l’occasion de concilier ses deux activités de prédilection, puisqu’à l’hommage que lui rend le Brussels Film Festival et résultant en diverses leçons de cinéma (1), s’ajoute la rétrospective(2) que lui consacre la Cinematek, judicieusement prolongée par une carte blanche de son cru(3). Tombé en cinéphilie dans les années 50, Tavernier s’est, avec le temps, imposé comme un fin connaisseur du cinéma, doublé d’un maître-passeur, préoccupation que traduit limpidement cette sélection de films, oubliés pour la plupart. Soit un voyage dans un pan méconnu de l’histoire du cinéma français, avec une prédilection pour les années 30 -encore qu’il ne faille y relever, explique-t-il, qu’une coïncidence, au même titre d’ailleurs que le fait de voir là réunis des cinéastes ayant fait une partie de leur carrière en exil.

Pierre Chenal est de ceux-là, dont Bertrand Tavernier a choisi deux films, L’homme de nulle part, adapté en 1936 de la pièce de Pirandello Feu Matthias Pascal, et Le Dernier tournant, réalisé trois ans plus tard -soit la toute première version cinématographique du roman The Postman Always Rings Twice, de James M. Cain. « Chenal était très marqué par le cinéma américain et très cinéphile, s’enflamme-t-il. Détruisons un cliché: les cinéastes cinéphiles n’ont pas commencé avec la Nouvelle Vague. Des gens comme Edmond T. Greville ou Pierre Chenal étaient de super-cinéphiles, à qui il arrivait d’écrire des critiques. Le dernier tournant est formidablement mis en scène (…). Quant à L’homme de nulle part, c’est ce que Renoir a essayé de faire à la fin de sa carrière sans réussir. Chenal bien, mais personne ne le pointait comme cinéaste important. »

Un héros noir avant l’heure

Autres réalisateurs exhumés par ses soins, Maurice Tourneur, à travers, là encore, deux de ses films des années 30, Au nom de la loi (1931) et Avec le sourire (1936), Anatole Litvak, avec le remarquable L’équipage (1935), ou encore Henri Calef avec son Jericho, réalisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale celui-ci –« un film sur la Résistance qui détruit plein de légendes, et se révèle d’une grande originalité: il y a 35 ou 40 personnages principaux. » La palme de la curiosité devrait toutefois revenir à Tamango (1957), de John Berry, libre adaptation de Mérimée, réunissant notamment Curd Jürgens et Dorothy Dandridge, aux côtés d’Alex Cressan dans le rôle-titre: « Ce film a une réputation effroyable, et trahit Mérimée, c’est certain. Mais John Berry fait de Tamango une sorte de Lumumba: c’est le premier héros noir qui se bat de toute l’Histoire du cinéma. Il y a quelque chose qui préfigure, longtemps avant, Malcolm X et des films comme cela. C’est sidérant. » On ne saurait mieux dire…

(1) BRUSSELS FILM FESTIVAL: JUSQU’AU 26/06. MASTER CLASS LE 21, À 16H; LEÇON DE CINÉMA LE 22 À 16H; LEÇON DE CINÉMA: BERTRAND TAVERNIER ET LA MUSIQUE DE FILM, LE 23 À 15 H 30, À FLAGEY

(2) RÉTROSPECTIVE À LA CINEMATEK DU 01/07 AU 31/08.

(3) CARTE BLANCHE À LA CINEMATEK DU 02/07 AU 07/08; PRÉSENTATION LE 23/06 À 19 H, EN PRÉLUDE À LA PROJECTION DU DERNIER TOURNANT, DE PIERRE CHENAL.

J.F. PL.

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