À LA FOIS FIDÈLE ET PERSONNEL, ASTÉRIX – LE DOMAINE DES DIEUX ILLUSTRE BIEN LES FONDAMENTAUX D’UNE ADAPTATION DE BD RÉUSSIE.

L’animation et les films à interprètes réels (« live action » le dit tellement mieux en anglais!) se partagent le prolifique domaine des transpositions cinématographiques de bandes dessinées et autres romans graphiques. Une veine presqu’inépuisable s’est ouverte avec l’adaptation de classiques ou semi-classiques de l’univers bédéesque et plus largement illustré, qu’il concerne le jeune public ou bien plus rarement (comme Sin City) des lecteurs adultes. Cette vague toujours montante et profitable a vu un éditeur comme Marvel Comics créer sa propre société de production cinématographique (Marvel Studios, liés au géant Walt Disney mais avec une réelle autonomie comme celle dont bénéficie Pixar). Et il n’est pas une haute saison en termes de rentrées potentielles sans que fleurissent des blockbusters américains mettant en scène quelque super-héros issu des pages de comic books parfois vieux de 70 ans et plus. Les Japonais adaptent par ailleurs et très logiquement des mangas, et les Français la bonne vieille bande dessinée dont la saga d’Astérix est d’évidence un solide pilier. L’oeuvre de René Goscinny et Albert Uderzo avait déjà connu plusieurs transpositions en dessin animé traditionnel, puis quelques tentatives en action réelle dont une seulement se révéla convaincante. L’animation en images de synthèse entre aujourd’hui dans la danse avec un Astérix – Le Domaine des dieux coréalisé par Alexandre Astier et Louis Clichy.

Rencontré à Bruxelles où il revenait avec plaisir, après avoir réalisé le film en partie sous nos cieux (à Gand et Charleroi aussi), le tandem français était idéalement placé pour évoquer la question fondamentale de l’adaptation, entre licence créative et fidélité plus ou moins obligée. Tout comme rien ne peut être entrepris autour de Tintin et de l’oeuvre d’Hergé sans accord (souvent difficile à obtenir) de la s.a. Moulinsart, pas question de toucher à l’irréductible Gaulois sans approbation des ayants droit réunis dans la société d’édition Albert René. Désormais contrôlée par Hachette, cette entité eut notamment pour actionnaires majeurs Albert Uderzo et sa fille Sylvie, ainsi que la fille du regretté Goscinny, Anne. C’est de là que vient le projet d’adaptation en CGI, et l’idée de le confier à Alexandre Astier, le créateur de la série télévisée parodique Kaamelott. « J’ai été appelé par M6 Studio, qui venait d’obtenir les droits d’adaptation pour faire un grand film d’Astérix en 3D (avec pour références Pixar et Dreamworks), se souvient le coréalisateur, et c’est l’album Astérix en Hispanie qui avait été retenu. » Presqu’immédiatement, Astier -auquel étaient confiés l’adaptation, puis la mise en scène, le casting des voix- se dit qu’un bien meilleur choix était possible, voire indispensable… « Astérix en Hispanie est un bon album, très divertissant, et qui s’est très bien vendu. Le Domaine des dieux, que j’ai proposé d’adapter à sa place, s’est beaucoup moins vendu, mais il possède des éléments modernes qui le qualifiaient nettement mieux pour faire un film: un plan machiavélique du méchant (Jules César) posé d’emblée, un huis clos (tout se passe au village et aux alentours), et un conflit qui se glisse au sein même du groupe des Gaulois. »

Licence et cahier des charges

« J’adhère à l’école américaine de scénario, qui dit qu’un personnage en danger nous touche d’autant plus que le danger qu’il court provient en partie de lui-même, de ses propres faiblesses. Alors je voulais montrer les risques que la cupidité et la facilité à s’engueuler de ces Gaulois qu’on sait solidaires pouvaient leur faire courir. Goscinny l’avait écrit: il montrait des Gaulois s’entre-déchirant, prêts à se séparer, à déménager… Là, du coup, c’est très flippant. Les clichés sur Astérix se trouvent mis à l’épreuve. » Fidèle à l’esprit de l’original, Alexandre Astier n’a pas pu s’empêcher de vouloir « pousser les choses plus loin que l’album, en me débarrassant tout à la fois de la potion magique et d’Obélix, histoire de mettre les Gaulois à poil, à deux doigts de voir leur village rasé… »

Cette liberté prise par rapport à la lettre, si elle contribue à la réussite du film, aurait pu faire sourciller producteurs et ayants droit, garants d’un cahier des charges « heureusement formulé par des gens intelligents, Albert Uderzo en tête. » « Un cahier des charges n’est pas plus qu’un cahier des charges. Si on garde Astérix sous cloche, c’est un patrimoine. Si on lui permet de soulever la cloche, alors c’est une oeuvre. Il faut juste décider… « , déclare un Alexandre Astier qui a donc obtenu de pouvoir mettre Obélix hors-jeu durant une partie cruciale de l’action, et affaiblir un Astérix (privé de potion magique) poussé à l’extrême bord de la défaite. Et de soupirer rétrospectivement, « parce que cette potion magique, et ce type qui est tombé dedans tout petit et qui ne risque donc jamais rien, c’est tout de même très plombant pour un scénariste! »

Du volume et du « blanc »

Alain Chabat manifestait, dans son remarquable Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre, sa fidélité à l’univers d’Uderzo et Goscinny en composant notamment certains cadres d’après des cases précises de la bande dessinée. Louis Clichy, appelé sur le nouveau film pour sa créativité en matière de 3D, savait que « l’obsession de fidélité, pour justifiée qu’elle soit, ne devait pas déboucher sur une approche trop lisse, trop prudente. » Il a laissé le soin à son comparse Astier de « déconstruire la licence Astérix pour mieux la recréer à l’écran. » Son job à lui fut essentiellement -mais aussi crucialement- de réussir la transposition en images de synthèse. « Uderzo dessine naturellement les volumes, il les rend déjà perceptibles sur la page. Le passage à la 3D n’était dès lors pas trop délicat à inscrire dans le respect de l’oeuvre originale« , explique un Clichy qui a surtout dû faire face à des choix parfois décisifs. « La 3D coûte très cher et prend beaucoup de temps, détaille-t-il. Il a fallu ainsi renoncer à mettre dans le film l’épouse (jeune et ravissante) d’Agecanonix, car elle aurait demandé beaucoup de travail supplémentaire, et remplacer une séquence de descente de rivière façon « ride » très spectaculaire par une scène de ruisseau bucolique. Economie et deadline obligent… Mais ces contingences forcent à se montrer plus créatif encore! »

Un des éléments de fidélité artistique à l’art d’Uderzo et Goscinny se trouve dans la manière dont le film ménage de courts mais décisifs moments de suspension, de vide, avant que ne tombent des gags dès lors plus percutants encore. « Faut du blanc!« , clame Louis Clichy. Et son complice de renchérir: « Il n’y a pas de comique sans musique, sans structure musicale… Et on fait du blanc en mettant du noir autour! Les contrastes sont une chose essentielle. Il n’y a pas de moment vif sans qu’il y ait un moment posé avant, ni d’effet comique s’il n’y a pas eu d’instant un peu sérieux avant. Il n’y a pas de comique sans drame, le ridicule humain qui nous fait rire nous fait en même temps percevoir le risque vécu par le personnage, qui nous devient touchant, et proche. C’est la grande leçon du burlesque, et trop de comédies grand public d’aujourd’hui l’ont malheureusement oubliée. Elles alignent les vannes sans rien nous faire ressentir… »

Mais comment expliquer l’émergence de « classiques » tels Astérix et Tintin? « Peut-être justement la conscience qu’ont leurs auteurs de la condition humaine, lance Alexandre Astier. C’est cela qui rend une oeuvre universelle, résonnante par-delà les frontières et les générations. Les lecteurs, comme les spectateurs, ne sont pas des « cibles » marketing. Ce qu’ils ont en commun est leur appartenance à l’espèce humaine. Il n’est pas de classiques qui ne touchent à cela… »

RENCONTRE Louis Danvers

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