[le livre de la semaine] Apaiser nos tempêtes, de Jean Hegland: deux mères

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Jean Hegland, l’autrice de Dans la forêt, explore l’expérience intime de la maternité dans un puissant roman à deux voix.

Il a fallu attendre plus de 20 ans pour voir la romancière américaine Jean Hegland traduite en français. Paru en 1996 aux États-Unis, Dans la forêt, son premier roman, déboulait en 2017 dans le paysage littéraire, l’épopée de ces deux soeurs adolescentes confrontées à l’effondrement de la civilisation constituant un véritable choc, récit post-apocalyptique et bien plus encore porté par une onde sensuelle et puissante. À l’instar de celui-là, Apaiser nos tempêtes nous parvient avec un temps de retard -le roman a été publié en 2004 aux états-Unis sous le titre Windfalls-, sans y avoir rien laissé de son acuité cependant.

Si le thème est a priori très différent de celui de Dans la forêt, il est toutefois aussi question de vie et de survie comme de sororité dans ce récit qui explore l’expérience de la maternité à travers l’existence de deux femmes de milieux différents, confrontées à une grossesse non désirée. Mais alors que Anna, étudiante de l’université de Washington passionnée de photographie, décide d’avorter, Cerise, lycéenne californienne vivant dans la précarité, choisit de garder l’enfant. Et le roman de passer de l’une à l’autre, traçant leur destin parallèle avant d’effectuer un saut d’une dizaine d’années dans le temps. Pour les rattraper alors que Cerise tente de joindre les deux bouts tout en s’occupant, seule de Melody, tandis qu’Anna, désormais mariée à Eliot, universitaire lui aussi, est enceinte de son premier enfant. Et le roman de les accompagner ensuite sur les chemins sinueux de l’existence, bientôt mères pour la seconde fois et rapprochées par le destin…

Jean Hegland raconte, dans la préface à cette édition française, avoir voulu parler de ses deux personnages « sans le sentimentalisme ni le cynisme qui me semblaient caractériser la majorité des récits de maternité dans notre culture« . Démarche plus radicale qu’il n’y paraît, qui l’amène à coller au plus près de l’expérience intime de ces deux femmes, sa plume dévalant d’espoirs en déceptions, de renoncements en délivrance, de félicité en frustrations, pour ce qui est aussi une quête de soi, l’apaisement en ligne de mire. L’autrice a le trait fulgurant, dans la salle d’accouchement où se retrouve Anna -« Des lustres après avoir poussé tout ce qu’il y avait d’autre à éjecter de son corps -la merde, la bave, la pisse, l’espoir-, elle poussa de toutes ses forces une dernière fois, de tous ses muscles présents et passés« -, comme dans la ville où erre Cerise -« Elle aurait tout aussi bien pu être invisible, car aucun visage n’enregistrait sa présence« . Raccrochant le destin de ses deux héroïnes à leur environnement et à la société américaine, aux rôles que celle-ci assigne et aux inégalités la travaillant, elle livre un roman viscéral et puissant, mais aussi émouvant et universel.

Apaiser nos tempêtes

Roman. De Jean Hegland, éditions Phébus, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, 560 pages. ****

[le livre de la semaine] Apaiser nos tempêtes, de Jean Hegland: deux mères

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