Sortie ciné | Love Life : un film qui déconstruit la famille japonaise

Taeko (Fumino Kimura): «pièce rapportée». © 2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINÉMAS
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Love Life, Kôji Fukada poursuit son travail de déconstruction de la famille japonaise traditionnelle pour mieux souligner la solitude de la condition humaine.

Révélé il y a une dizaine d’années par Au revoir l’été, Kôji Fukada s’est rapidement imposé comme l’un des réalisateurs les plus passionnants du cinéma japonais contemporain, les Harmonium et autre L’Infirmière venant témoigner de la singularité comme de l’acuité de son regard. Il n’en va pas autrement aujourd’hui de Love Life, son dernier opus, un film ayant pour cadre une petite ville nipponne, et s’invitant dans l’intimité d’une famille à l’existence en apparence banale. À savoir Taeko, son jeune époux Yori, et Keita, le petit garçon qu’elle avait eu d’un précédent mariage -situation lui valant l’hostilité plus ou moins larvée de son beau-père. Et une réalité qui va basculer à la suite d’un accident domestique, la disparition tragique du petit garçon faisant voler en éclats le fragile équilibre présidant aux relations familiales, les choses se compliquant encore avec la réapparition de Park, le père biologique de l’enfant.

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Cette histoire à la surface faussement étale, Fukada raconte en avoir eu l’inspiration à l’écoute de la chanson éponyme de Akiko Yano, qui donne son titre au film et en accompagne le générique final: “Quand j’avais 20 ans, je l’écoutais beaucoup et elle m’a profondément marqué, en particulier la phrase où elle dit que même en étant éloigné l’un de l’autre, rien ne peut mettre fin à son amour. Au début, j’imaginais une relation amoureuse entre un homme et une femme, mais ce n’est pas que ça: il peut s’agir aussi de l’amour à l’intérieur d’une famille, ou encore entre une mère et son enfant”, la notion de distance évoluant en conséquence. Motif que ne se fait faute d’explorer le réalisateur, les protagonistes de ses films s’exposant à la complexité et à l’ambivalence des sentiments. Ainsi de Taeko et Yori, dont Love Life suggère qu’il va leur falloir apprendre à se regarder à nouveau les yeux dans les yeux, histoire de pouvoir continuer à (sur)vivre.

Tradition nipponne?

Il serait commode, on s’en doute, de ranger Kôji Fukada parmi les inlassables observateurs de la famille nipponne, les Yasujiro Ozu ou Hirokazu Kore-eda qui ont donné au cinéma japonais quelques-unes de ses lettres de noblesse. Lui, pourtant, voit les choses autrement: “Kore-eda, Ozu ou moi, nous avons tous une vision du monde différente. À mes yeux, Kore-eda questionne la structure de la famille traditionnelle, mais même s’il s’y oppose, il s’emploie à recréer une famille. En ce qui me concerne, si le thème de la famille est récurrent dans mes films, il n’en constitue pas l’élément prépondérant. Je préfère me concentrer sur la solitude des individus. Pour moi, nous sommes indubitablement seuls, et la famille n’est jamais qu’une construction qui peut nous aider à oublier cette condition un certain temps. Elle ne concerne pas que des gens vivant dans un désert, par exemple; elle est notre lot à tous, même au sein d’une famille, où il y a des moments d’extrême solitude.” “Nous vivons comme nous rêvons -seuls”, estimait le Joseph Conrad d’Au cœur des ténèbres, dont Kôji Fukada pourrait bien apparaître comme le disciple qui n’en finit plus de ressasser cette notion, lui qui, à l’époque d’Harmonium déjà, nous confiait: “Mes films s’apparentent à une exploration de l’individu le ramenant à cette composante intrinsèque de la condition humaine qu’est la solitude…

Sept ans plus tard, rien de bien neuf sous le soleil, même si le cinéaste apporte au constat quelques nuances et variations. Ainsi, par exemple, en faisant de Park, le protagoniste par qui le trouble arrive, un malentendant s’exprimant par le langage des signes -motif que le film partage curieusement avec le récent Drive My Car, de Ryûsuke Hamaguchi-; une idée qui lui est venue, dit-il, après avoir animé un atelier pour sourds à l’occasion du Tokyo International Deaf Film Festival. Et une manière, pour le coup, de rompre un temps le cercle de la solitude, Taeko et Park étant unis par une langue qui les isole du reste du monde, seuls mais à deux dans leur bulle. L’une des belles idées d’un film se dérobant aux canons du triangle amoureux comme en écho au cinéma de Fukada, un réalisateur passé maître dans l’art de se jouer des formes pour mieux laisser le trouble s’insinuer, inexorablement.

Love Life

Employée des services sociaux d’une petite ville japonaise, Taeko vit avec son mari, Jiro, et son fils né d’un premier mariage, Keita, en face de chez ses beaux-parents qui ne l’ont jamais vraiment acceptée, la considérant comme une “pièce rapportée. Moment où la disparition accidentelle du garçon lors d’une fête familiale vient rompre le fragile équilibre présidant à leurs relations, la réapparition de Park, le père coréen sourd et sans-abri de l’enfant lors de ses funérailles ajoutant encore à la confusion… Observateur subtil de la famille et de ses failles, Kôji Fukada (Harmonium, L’Infirmière) entraîne ce couple en zone de turbulences pour signer, tout en atmosphères à la tranquillité trompeuse, un drame s’employant à explorer la complexité et l’ambivalence des sentiments. “Love Life” (d’après une chanson d’Akiko Yano) peut-être, mais alors sans jamais se départir d’une évidente lucidité face à son absurdité, ni de son corollaire, l’inconfort…

De Kôji Fukada. Avec Fumino Kimura, Kento Nagayama, Atom Sunada. 1 h 58. Sortie: 14/06. ***1/2
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