
Titre - Saint Omer
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Alice Diop
Casting - Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville
Durée - 2h02
Alice Diop s’inspire de l’affaire Kabou et questionne la maternité dans un geste austère et fort, cherchant la femme derrière l’infanticide.
Dans un auditoire universitaire, des étudiants sont rivés à un documentaire de Robert Capa sur la tonte des femmes à la Libération, que leur prof, Rama (Kayije Kagame), une écrivaine, accompagne de la lecture d’un passage de Hiroshima, mon amour, de Marguerite Duras. Et de souligner la “puissance de narration au service d’une sublimation du réel”, par laquelle une femme humiliée, objet d’opprobre, devient “un sujet en état de grâce”. Voilà, posé dès sa magistrale scène d’ouverture, le sens de la démarche dans laquelle s’inscrit Saint Omer, le film qui consacre le passage à la fiction de la documentariste française d’origine sénégalaise Alice Diop. Une fiction inscrite dans le réel, puisqu’elle s’y empare de l’affaire Fabienne Kabou, qui avait défrayé la chronique en novembre 2013, lorsqu’une jeune étudiante sénégalaise installée en France avait abandonné son bébé de nuit, à marée montante, sur la plage de Berck-sur-Mer. Ce fait divers, la réalisatrice le décale pour mieux se l’approprier, et l’envisager à travers les yeux de Rama, venue assister, enceinte de quelques mois, au procès de de Laurence Coly (Guslagie Malanda), mère infanticide ayant rapidement avoué avoir commis l’impensable, et justifiant son geste en parlant d’un maraboutage.
Une fierté politique
S’il ne quitte dès lors plus le prétoire qu’en de rares occasions, Saint Omer n’est pourtant pas à proprement parler un film de procès. Alice Diop cite, comme inspiration, la Jeanne d’Arc de Bresson, pour la fixité et la longueur des plans, et explique avoir envisagé le tribunal presque comme “un théâtre de la parole, et ce qui vient y renvoyer chacun des spectateurs, ceux qui écoutent le procès mais aussi ceux qui regardent le film, à des choses personnelles et intimes.” Et c’est bien de cela qu’il s’agit, alors qu’on découvre Laurence Coly répondant aux questions de la présidente (Valérie Dréville) dans un langage choisi sans que la caméra, frontale, ne laisse filtrer la moindre émotion. Et racontant bientôt son expérience de jeune femme noire en France, le couple mal assorti avec un homme plus âgé, la solitude et l’aliénation -“L’histoire d’une femme-fantôme, une femme que personne ne voit, que personne ne connaît”, dira son avocate. Et un mystère qui restera entier- on ne saurait après tout comprendre l’inexplicable. Ce procès, qu’elle met en scène dans un mélange d’austérité et de rigueur implacable, Alice Diop en amplifie aussi la portée, mesurant son impact sur Rama, dont elle esquisse ce que la tragédie éveille chez elle, pour bientôt questionner la maternité. Et le film de passer du singulier à l’universel dans un geste fort aux implications multiples: “Que des corps noirs portent l’universel, c’est pour moi une fierté politique”, souligne d’ailleurs la cinéaste.
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