Fallout: quand les jeux vidéo nourrissent les séries

Nicolas Bogaerts Journaliste

Le tout récent Fallout sur Prime prolonge la noce entre le monde des jeux vidéo et celui des séries. De ce mariage de raison naît un format de plus en plus opulent qui multiplie les défis narratifs.

Une pléthore d’anime japonais ou de films déclinent l’univers des jeux vidéo depuis les années 80. Sur le petit écran et désormais les plateformes, les séries en live action ne se sont réellement engouffrées dans le filon qu’au moment où le gaming imposait sa domination sur les industries culturelles. Depuis 2020, Gangs of London, adaptation réussie du jeu sorti sur PlayStation en 2006, a mené la charge, a aiguisé l’air de rien les ambitions et élevé les enjeux. En l’espace de quatre ans, Resident Evil, Halo, The Last of Us, Twisted Metal et le récent Fallout, confié aux créateurs de Westworld Jonathan Nolan et Lisa Joy, ont été mis sur les rails. En attendant le remuant Knuckles, prévu sur Paramount + fin avril.

Du gameplay au scénario

Dans ce mouvement qui ne paraît pas s’arrêter, le game changer est et restera réellement The Last of Us: le jeu vidéo créé par Neil Druckmann en 2013 avait déjà réussi à bousculer les codes du genre avant de remettre le couvert en 2020 pour son deuxième volet. Sa traduction sur HBO par Druckmann et Craig Mazin (Chernobyl) a mis le cran assez haut. Visuellement prenante, plongeant dans un monde post-apocalyptique hanté par des morts-vivants infestés et parasités par le Fungus Cordyceps, la série s’est distinguée par l’alchimie entre Bella Ramsey et Pedro ­Pascal, ses méditations douloureuses sur l’attachement et la perte, ses jeux de langage, ou encore l’épisode poignant en aparté avec Nick Offerman.

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Qu’est-ce qui préside donc à la rencontre de deux modes de narration qu’on pourrait penser concurrents? Rencontré avec Todd Howard, concepteur de la franchise Fallout, dans le cadre du festival Canneseries début avril, ­Jonathan Nolan évoque la séduction d’une franchise capable de déployer « une sacrée expérience en matière de contrôle et d’interactivité, de liberté d’action et de mouvement » et « une ADN qui mêle une esthétique originale, des personnages mythiques et un ton unique, délicieusement gonzo ». Toutefois, retranscrire un gameplay et ses variabilités dans un scénario de série s’avère un défi insurmontable. Mais qui peut se contourner. Pas besoin d’avoir, par exemple, des méchants qui envahissent l’écran à tout moment. Dans The Last of Us, l’aventure, l’action, le frisson ne surpassaient pas l’intensité des relations et la temporalité lente qui demeurent au centre du récit. La violence fait irruption par fulgurances et outrance dans Fallout, comme un défoulement et un rappel de cet univers impitoyable où la moindre erreur est fatale. Reste à trouver la manière de restituer cette ­violence lorsqu’elle advient: de manière réaliste et tragique (The Last of Us), en l’amplifiant jusqu’au ridicule (Twisted Metal) ou en ironisant sur ses ravages et ses conséquences (Fallout) dans un monde foutu de toutes les manières.

Fin du monde et divertissement

Sans les contraintes du gameplay, il y a davantage de place pour l’histoire. Le genre post-apocalyptique ou dystopique dans lequel s’inscrit Fallout est aussi une manière de déployer des problématiques contemporaines. Pour Todd Howard, c’est d’abord parce que ces univers prisés par le gaming ont enfin trouvé les moyens de mettre en valeur à l’écran le spectaculaire sans limite qu’ils déploient: « Les fictions postapocalyptiques, que ce soit au cinéma, dans les séries ou les jeux vidéo, sont désormais des univers flatteurs pour la caméra ou l’animation. » Ensuite vient la question de la critique sous-jacente, et de ses propres limites: « Fallout a toujours joué sur le lien entre le monde d’avant et le monde d’après, avance le concepteur, pour comprendre en profondeur et révéler les racines du malheur -ici l’holocauste nucléaire. Pourquoi et comment tout bascule? Pour quels enjeux et jusqu’à quelles extrémités certains individus ou groupes d’intérêt sont prêts à aller pour nourrir leur illusion de contrôle? Mais je dirais que la seule limite à laquelle il faut faire attention, c’est celle qui permet de rester dans l’entertainment. » Quant au fan service, cette obligation de respecter les incunables et de les glisser habilement dans le récit, au risque de décevoir les communautés aussi loyales qu’exigeantes, Todd Howard a sa recette: « En tant que concepteurs, il est important de ne pas oublier que nous avons été nous aussi, et sommes encore, des fans. Je me dis toujours: quoi que tu fasses, ne cherche pas à plaire à tous les fans, mais adopte le point de vue d’un fan. »


L’obligation de divertissement, si elle est scrupuleusement respectée par Nolan et sa bande, dans la lignée des circonvolutions corporatistes de Westworld, ne les empêche pas de céder à de légères tendances iconoclastes. Fallout, western nihiliste post-nucléaire, a pour décor la Californie, berceau du divertissement mondialisé et de son soft power. Une provocation? Un avertissement? Un clin d’œil? « Une pulsion irrésistible, sourit Nolan. Le premier jeu Fallout prenait aussi la Californie pour décor. On aurait pu se dire que c’était une manière de boucler une boucle. Mais pour nous, il fallait justement appuyer le côté méta, satirique du jeu et de la série qui en découlerait. Quel meilleur décor pour une fiction faite par des gros malins de Hollywood qui prétendent expliquer la vie et le métier aux génies du jeu vidéo? (rires) Plus sérieusement, les décors américains parlent au plus grand nombre dans un monde globalisé. Mais ça correspond aussi, je pense, à une tradition bien ancrée de l’autodérision, de l’autocritique. Nous avons tendance, chez nous, à penser que nos modèles s’imposent naturellement au monde. Il fallait montrer aussi les limites de ce schéma-là. Dans l’entertainment, comme partout ailleurs, tout peut s’arrêter du jour au lendemain. »

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