L’art féministe d’avant-garde des années 70 exposé à Bozar

Hannah Wilke, Super-T-Art (série de 20), 1974-1991 © Bildrecht, Vienna 2014/ Courtesy of Ronald Feldman Fine Arts, New York / SAMMLUNG VERBUND, Vienna
Trân Thi-Tiên
Trân Thi-Tiên Stagiaire

Durant les mois de juillet et août, Bozar accueille en son sein l’art féministe d’avant-garde des années 70. Woman est une exposition rassemblant 450 oeuvres de 29 artistes femmes qui expriment leur position sur les rapports entre les genres.

L’art est un outil efficace de changement de mentalités. Seulement, l’histoire de l’art -et l’histoire plus généralement- montre que l’image de la femme a essentiellement été le fruit de projections masculines. Comment bousculer ces préconceptions? En donnant aux femmes la possibilité de redéfinir elles-mêmes leur place dans la société, leur permettant ainsi d’être maîtresses de leur propre discours, sans qu’il soit formulé, dicté, formaté par les hommes. À travers 450 oeuvres provenant de la Sammlung Verbund à Vienne, Bozar présente le travail de 29 artistes issues de l’avant-garde féministe des années 70. Au nom d’un art libre et novateur, elles ont déconstruit pour la première fois de façon radicale et personnelle une iconographie jugée patriarcale héritée depuis plusieurs siècles.

La photographie, la vidéo, la performance comme outils du discours féministe

De cet art libre découlent de nouvelles formes d’expression puisant dans les ressources multiples de l’art « média ». Des artistes comme Valie Export en mesurent bien le potentiel. Adepte d’art vidéo, de photographie et de performances, elle y voit une possibilité « d’exprimer les choses directement, sans avoir à dépendre de la parole écrite, qui est manipulée par les hommes ». Alexis Hunter, quant à elle, reproche à la peinture de reposer sur une esthétique façonnée par le regard masculin (« male gaze »), c’est pourquoi elle privilégie la photographie et la vidéo en tant que médiums qui, de par leur mécanisme, reflètent la réalité de manière objective.

Ana Mendieta, Untitled (Glass on Body Imprints), série de 6, 1972/1997
Ana Mendieta, Untitled (Glass on Body Imprints), série de 6, 1972/1997 © Estate Ana Mendieta / SAMMLUNG VERBUND, Vienna

De façon tantôt provocante, ironique, poétique et humoristique, ces artistes se réapproprient leur image, leur corps, leur identité, explorant tour à tour des thèmes chers au combat féministe: la représentation des genres, la sexualité, le transgendérisme, le travail, les droits juridiques et politiques… Le corps et l’espace sont au coeur de la réflexion de Francesca Woodman dont deux salles entières de l’exposition lui sont consacrées: la photographe américaine décédée bien trop tôt -à 22 ans- n’hésite pas à déformer son corps, en le triturant avec des pinces à linge, en s’enroulant partiellement de ruban adhésif qui donne à voir une succession de bourrelets… Elle se met en scène nue dans des endroits désertés, isolés, dans une sorte de brutalité déjouant les lieux où se déploie traditionnellement l’esthétique féminine. L’artiste américano-cubaine Ana Mendieta questionne également les canons de beauté féminine en pressant des parties de son corps et de son visage contre une plaque de plexiglas, défigurant ainsi son image, alors qu’Eleonor Antin s’amuse à se maquiller le visage, réduisant son geste à un acte de transformation picturale. Tantôt, elle se travestit et porte la barbe tout comme Cindy Sherman qui, dans une série d’autoportraits en noir et blanc, interroge les identités multiples. D’autres artistes comme Birgit Jürgenssen s’approprient plutôt les attributs féminins (talons aiguille, tablier de cuisine…), jouant avec leur symbolique afin de dénoncer la chosification de la femme dans la société.

Si le ton monographique de Woman, présentant successivement le travail des 29 artistes, peut quelquefois manquer de rythme sans doute en raison d’un parcours très linéaire, c’est peut-être parce que l’exposition se veut résolument exhaustive, démontrant que l’art féministe d’avant-garde des années 70 s’est forgé autour du travail de toutes ces femmes et non sous l’impulsion d’une poignée de militantes chevronnées dont le discours aura tôt fait d’être perdu dans un flot de vaines revendications.

Cet été, dans le cadre du Summer of Photography qui en est à sa 5e édition, la parole est donnée aux artistes femmes. Woman constitue un des points névralgiques de cette biennale internationale mais ce n’est pas moins le travail de 85 artistes traitant du féminisme qui se déploie à travers 35 institutions de la capitale.

  • Exposition: Woman. The Feminist Avant-Garde of the 1970s. Works from the SAMMLUNG VERBUND. Palais des Beaux-Arts (Bozar), du 18 juin au 31 août 2014. www.bozar.be

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