Une affaire de femmes: que retenir de la 72e Berlinale?

Carla Simon, réalisatrice et scénariste d'Alcarràs, Ours d'or de la 72e Berlinale. © Ronny Hartmann/Pool via REUTERS
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Stimulante, la 72e Berlinale s’est déclinée largement au féminin, constat valant aussi bien pour son palmarès que sur les écrans. Tendances et sélection de temps forts.

Contrainte à se dérouler en ligne en 2021, la Berlinale renouait avec un semblant de normale pour sa 72e édition, retrouvant le cadre de la Potsdamer Platz pour une version light: une semaine à peine contre dix jours habituellement, le retour au présentiel s’accompagnant par ailleurs de protocoles sanitaires drastiques. L’inconfort en résultant aura été atténué par la découverte d’une sélection dont la première tendance aura été l’excellente tenue d’ensemble. Une qualité d’ailleurs reflétée par le palmarès, tant Alcarràs (Ours d’or) que Robe of Gems (Prix du jury), Nana (meilleure interprétation dans un second rôle), Everything Will Be OK (contribution artistique) ou Drii Winter (mention spéciale) comptant parmi les oeuvres les plus stimulantes projetées sur les écrans berlinois.

Une autre tendance que traduit le tableau d’honneur, et pas exclusive à la Berlinale du reste, tient à la féminisation en marche du cinéma: à l’instar de Cannes avec Julia Ducournau et Venise avec Audrey Diwan, Berlin a consacré une réalisatrice, l’Espagnole Carla Simón, six des neuf prix de la compétition étant par ailleurs attribués à des femmes. Cette déclinaison au féminin s’est également traduite sur les écrans, avec un nombre significatif de films portés par des « héroïnes ». Ainsi, par exemple, de Avec amour et acharnement, de Claire Denis (prix de la mise en scène), où Juliette Binoche est le moteur d’un triangle adultérin; des Passagers de la nuit, de Mikhaël Hers, portrait sensible d’une femme délaissée tentant de se reconstruire; de Nana, de Kamila Andini, le récit d’une émancipation féminine dans l’Indonésie des années 60; de The Novelist’s Film, de Hong Sang-soo (Grand Prix), accompagnant une écrivaine dans ses déambulations à Séoul; de Rabiye Kurnaz gegen George W. Bush, d’Andreas Dresen, où une mère courage (Melten Kaptan, prix d’interprétation) tente de faire libérer son fils de Guantanamo; de Call Jane, de Phyllis Nagy, autour d’un groupe de femmes de Chicago bravant, dans l’Amérique des 60’s, l’interdit frappant l’avortement. Et l’on en passe, comme Ursula Meier filmant au cordeau un affrontement mère-fille dans La Ligne, ou Bertrand Bonello s’insinuant dans l’imaginaire d’une adolescente d’aujourd’hui pour Coma.

Ce dernier est un film hybride en prise sur l’incertitude contemporaine, celle qui habite encore Everything Will Be OK, le documentaire que compose Rithy Panh à l’aide de figurines et de myriades d’images, Incroyable mais vrai, la comédie traversée d’angoisse existentielle de Quentin Dupieux, ou Viens je t’emmène, le vaudeville décoiffant d’Alain Guiraudie. Cette incertitude qui frappe encore le monde agricole, au coeur d’Alcarràs, le film choral de Carla Simón qui confronte une famille de cultivateurs catalans aux mutations inexorables du monde rural, disparition d’un mode de vie à la clé. Réalité qui est aussi celle de Return to Dust, du Chinois Li Ruijun, qui enrobe de douceur désespérée les amours pures d’un couple de paysans naïfs, jouets d’enjeux qui les dépassent. Le Suisse Michael Koch ponctue cette trilogie de la Terre dans la beauté coupante des paysages alpestres, cadre de Drii winter, film se frottant avec ses protagonistes -un couple, là encore, confronté à la maladie- à une nature immuable, comme pour se soustraire au temps.

Alcarràs

De Carla Simón (Compétition).

Alcarràs
Alcarràs

Sous le soleil catalan, une saison parmi une famille de cultivateurs dont l’activité -la récolte de pêches- est menacée par l’installation de panneaux solaires, plus rentables. La réalisatrice Carla Simón livre une chronique agricole inspirée, réussissant à vibrer avec trois générations et à prendre la mesure de temps changeants. Ours d’or mérité.

Nana

De Kamila Andini (Compétition).

Nana
Nana

Kamila Andini situe dans les tumultes de l’Histoire de l’Indonésie des années 60 ce beau récit au féminin, l’histoire de Nana, jeune femme de condition modeste remariée à un homme fortuné. Et qui va trouver auprès de Ino, la maîtresse de son conjoint, la force de se réinventer, cette sororité illuminant un film tout de sensorialité languide.

Coma

De Bertrand Bonello (Sélection Encounters).

Coma
Coma

En prise inquiète sur le monde, Bertrand Bonello s’insinue dans l’esprit et les rêves d’une fille de 18 ans. Et bricole un régal de film hybride par temps de confinement, chaîne fictive d’une youtubeuse, animation 3D, prises de vues réelles… composant autant de fenêtres sur son imaginaire, entre plongée dans les limbes et sitcom rejouée par des poupées.

Les Passagers de la nuit

De Mikhaël Hers (Compétition).

Les Passagers de la nuit
Les Passagers de la nuit

L’imaginaire mélancolique de Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été) est porté à quintessence dans un film revisitant les années 80, leur musique et leur humeur notamment, sur les pas d’une femme (Charlotte Gainsbourg, parfaite) devant faire face, avec ses deux ados, au départ de son mari. Ou le cinéma comme une bulle, lumineuse et bienveillante.

Return to Dust

De Li Ruijun (Compétition).

Return to Dust
Return to Dust

Le rapport original à la Terre, dans son évidence et sa simplicité désormais menacées, irrigue ce drame de toute beauté de Li Ruijun. L’histoire de Ma et Cao, un couple de parias entre lesquels se crée un lien puissant par-delà leur mariage arrangé, amour pur se heurtant toutefois aux mutations du monde rural… La découverte d’un nouveau maître chinois.

Robe of Gems

De Natalia López Gallardo (Compétition).

Robe of Gems
Robe of Gems

Monteuse des films de Carlos Reygadas et Amat Escalante notamment, Natalia López Gallardo porte, avec Robe of Gems, un regard inusité sur la réalité mexicaine contemporaine. Elle propose une expérience sensorielle puissante en croisant les destins de trois femmes dans un thriller rural qui balaie un paysage humain et physique tout en zones d’ombres.

This Much I Know to Be True

D’Andrew Dominik (Berlinale Special).

This Much I Know to Be True
This Much I Know to Be True

Cinq ans après One More Time with Feeling (et en attendant Blonde), Andrew Dominik retrouve Nick Cave et Warren Ellis pour un documentaire habité gravitant autour des chansons de Ghosteen, la caméra, mouvante, s’insinuant au coeur du processus créatif, tout en traduisant une étonnante capacité de résilience. Plus qu’un docu musical, un film secouant.

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