[Critique ciné] La Región salvaje, radical et passionnant
DRAME FANTASTIQUE | Avec La Región salvaje, Amat Escalante poursuit son exploration d’une réalité mexicaine glauque, qu’il relève d’éléments fantastiques.
Trois films, Sangre, Los Bastardos et Heli (Prix de la mise en scène à Cannes en 2013, après avoir tétanisé la Croisette), ont imposé Amat Escalante (lire son interview) comme l’un des cinéastes les plus passionnants du moment, passant la société mexicaine au scalpel d’un cinéma âpre, cru et viscéral. Découvert en compétition lors de la dernière Mostra de Venise (dont il allait repartir avec le titre de meilleur réalisateur), La Región salvaje, son quatrième long métrage, poursuit dans une même veine radicale, que l’auteur relève toutefois d’envolées fantastiques -présence actée dès la scène d’ouverture, ajoutant trouble et sensualité à l’effroi et au mystère.
Rien de bien neuf pourtant, a priori, sous le soleil trompeur de Guanajuato, et la réalité que dévoile Escalante est pavée d’homophobie, de misogynie et de violence, environnement rendu plus délétère encore par l’hypocrisie ambiante et la corruption rampante. C’est dans ce contexte qu’évolue Alejandra (Ruth Ramos), prisonnière d’un mariage malheureux, et toutes illusions en berne alors qu’elle s’occupe de ses deux gamins tout en subissant, sans entrain, les assauts sexuels d’Angel (Jesús Meza), son mari macho et par ailleurs de son frère, Fabian (Eden Villavicencio). Un quotidien morne et glauque que va venir perturber l’arrivée de Veronica (Simone Bucio), jeune femme énigmatique qui apprend bientôt à Ale l’existence, dans une cabane au milieu des bois, d’une créature étrange, source de plaisir inépuisable, doublée, peut-être, de la solution à ses problèmes…
Regard frontal
Il y a du Possession de Zulawski dans ce nouveau film d’Amat Escalante, inspiration du reste revendiquée. Pour autant, on est bien ici chez le réalisateur mexicain, qui porte, comme de coutume, un regard frontal sur un réel blafard, ne ménageant pas plus le spectateur que la vie ne s’encombre de sentiments à l’égard de ses personnages. Autant dire que La Región salvaje tient de l’expérience déroutante voire inconfortable, mais plus encore surprenante et stimulante. S’appuyant sur une mise en scène suffocante, Escalante multiplie les fulgurances, et son film, s’il dépeint une réalité mexicaine proprement affolante, témoigne aussi d’une audace narrative réjouissante, osant jusqu’à une stupéfiante drôlerie -ainsi d’une scène hallucinante, variation sur l’Arche de Noé sous l’angle de la copulation. Soit une oeuvre foisonnante dont l’on peut toutefois se demander si son propos n’aurait pas gagné en force et en portée si son élément fantastique n’avait été que suggéré -encore que la créature imaginée par Escalante, expression imagée du désir réprimé et de la peur parmi d’autres, ne manque assurément pas d’arguments…
De Amat Escalante. Avec Ruth Ramos, Simone Bucio, Jesús Meza. 1h40. Sortie: 17/05. ****
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