Pater dolorosa

Sous orchestrations sympho-synthétiques parfois emphatiques, ce double album tente aussi d’absoudre le chagrin du fils disparu. Aussi émouvant qu’éprouvant.

Stylistiquement, ce nouveau disque prouve qu’en 2019, les barrières des genres caviens se sont totalement effacées. Ou comment un ex-punk gothique héroïnomane des années 80, passé par le rock métaphorico-biblique se retrouve à 62 ans. Soit, dans le sillage d’une heure de quasi-poème récitatif intimement teinté de gospel mais aussi d’une forme plus inattendue de prog-rock seventies. Donc, quand le premier des deux albums s’ouvre sur Spinning Song par une boucle de synthé modulaire, très 1974, la surprise laisse vite place à l’impression d’une compression du temps et des modes. Jamais sans doute, il y a même encore cinq ans, le plus théâtral des Australiens , héritier défroqué d’Elvis, n’aurait laissé poindre ce genre de son. D’Elvis, il en est question à cette première chanson, pouvant être comprise comme un conte sur le cours inéluctable de la vie, passant par le recyclage de notre propre corps dans la nature. Mais lorsque Cave répète ad libitum  » And I Love You/Peace Will Come », difficile de ne pas penser à la mort accidentelle de son fils, survenue en juillet 2015. Cette tragédie, le sens de la perte et du chagrin n’étaient pas au départ inclus dans l’album Skeleton Tree paru en 2016 puisque les chansons avaient été écrites avant l’accident. Certains textes étant ensuite amendés par Nick, abordant de biais son drame familial.

Pater dolorosa

Trois ans plus tard, Ghosteen intègre précisément ce qui ne pouvait sans doute pas être formulé si près de la mort du fils. Le temps n’a en rien effacé la douleur mais a permis de construire une sorte d’univers parallèle annoncé dès la pochette, qu’un magazine anglais a comparé à  » un prospectus des Témoins de Jehovah ». Une esthétique féérique, un éden fantasmé que Cave ne va cesser d’explorer dans les huit titres du premier disque et les trois du second. Accumulant les imageries de chevaux, soleils et forêts d’un tableau panthéiste qui surprend et trouble d’autant plus que ne cesse d’être évoquée en creux l’absence de l’enfant parti. Avec l’ombre de ce qu’à défaut de mieux, on baptisera  » présence divine ». Dans Ghosteen Speaks, Cave chante  » I’m beside you » alors que  » My baby loves me » s’incruste dans le coeur de Leviathan sur une vague musicale qui se transforme en lent tsunami balayant tout au passage. Beau mais un rien kitsch, ce que provoque de temps à autre, le mix choeurs-synthés. Le second disque, construit sur deux longues plages de 12 et 14 minutes, séparées par un interlude parlé, ne quitte pas cette brumeuse atmosphère onirique. Jusqu’au climax d’ Hollywood où, à bout de voix et de peine probable, Cave livre ses derniers mots du disque:  » Everybody’s losing someone/It’s a long way to find peace of mind, peace of mind/It’s a long way to find peace of mind, peace of mind/And I’m just waiting now for my time to come/And I’m just waiting now for peace to come/ For peace to come « . Tout est alors dit.

Nick Cave and The Bad Seeds

« Ghosteen »

Distribué par V2 Records.

8

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