Musique, séries, ciné, arts… Comment les artistes se sont emparés du Brexit
Le feuilleton absurdo-politique du Brexit avait de quoi inspirer. Les artistes s’en sont emparés, souvent pour s’y opposer. Passage en revue des oeuvres d’un divorce à consommer.
MUSIQUE: Comment te dire adieu?
Bruxelles, le 23 janvier. Sur la scène de l’AB, Arno s’apprête à entamer sa relecture bien à lui de l’hymne européen, mais pas avant de lancer un vibrant « Fuck Brexit!« . Visiblement, l’Ostendais a du mal à y croire. De l’autre côté de la Manche aussi. Peut-être parce que la musique britannique a toujours constitué l’un des principaux produits d’exportation de l’île? Hormis Morrissey (…), la grande majorité des stars ont soutenu le « Remain » (d’Elton John à McCartney), l’ont écrit dans une lettre ouverte à Theresa May (d’Ed Sheeran à Brian Eno), dans un pamphlet (Jarvis Cocker), mais le plus souvent encore dans leur musique. Des anciens -comme Mick Jagger avec le single Gotta Get a Grip/England Lost ou l’éternel folk-working-class-hero Billy Bragg avec Full English Brexit- aux principales figures de la Britpop.
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Avec son groupe The Good, The Bad & The Queen, Damon Albarn a sorti en 2018 l’album Merrie Land, clairement infusé par la confusion qui a suivi le vote du Brexit. Même Elbow a dû mettre une sourdine à ses hymnes euphoriques sur son dernier Giants of All Sizes (« Baby, empires crumble all the time »). Mais plus encore que des oeuvres en particulier, c’est peut-être bien une nouvelle génération qui trouve dans la situation matière à allumer de nouveaux brûlots musicaux. Les têtes de noeuds de Sleaford Mods, par exemple, ne sont peut-être plus des gamins, mais leur hargne colle bien à l’atmosphère délétère qui règne en Albion (« Brexit loves that fucking Ringo/Safe bet, all the oldies vote for death » sur Dull). La poétesse Kate Tempest a pu annoncer que « Europe is lost », tandis que le rappeur Stormzy a envoyé bouler le Prime Minister (« Fuck Boris », sur Vossi Bop). En rock, en particulier, la Fat White Family n’a pas caché que son dernier album (Serfs Up) faisait notamment référence au Brexit, tandis que Shame a chanté Visa Vulture et qu’Idles est en train de devenir le groupe le plus bruyant du moment en gueulant contre les crispations identitaires qui ont amené à la séparation (Great). L.H.
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SÉRIES: Des saisons en enfer
La fiction télévisée britannique s’est saisie prudemment du Brexit, des incertitudes et discordances qu’il a générées. Dans l’interactif Bandersnatch, spin-off de Black Mirror, le labyrinthe cognitif alternant culs-de-sac, choix, non-choix et conséquences funestes, renvoyait sans doute inconsciemment à la crise qui frappait l’Angleterre depuis plus d’un an. Dans la première saison de Black Mirror, la référence est en revanche directe avec le personnage du Premier ministre Michael Callow. Ce dernier s’humilie en se roulant dans la fange avec un cochon, mais cette ordalie n’est rien au regard de ce qui l’attend quatre saisons plus tard: les négociations avec Bruxelles autour de la sortie de l’Europe! En juin 2017, la série SF cosmico-culte de la BBC Doctor Who prévenait, dans son épisode L’Impératrice de Mars, des conséquences de l’isolationnisme d’une Albion déconnectée de la réalité, incapable d’un compromis, et soulignait le lien entre xénophobie crasse et colonialisme de l’Empire. Dans l’épisode spécial du Nouvel An 2019, Résolution, c’est le retrait unilatéral de l’Unified Intelligence Taskforce qui livre la ville de Sheffield à la destruction.
La belle série dystopique Years and Years spécule elle sur l’Angleterre post-Brexit, aux mains de la populiste Vivienne Rook (Emma Thompson). Fake news, transhumanisme, uberisation, racisme sont les marqueurs d’un monde en pleine mutation, dont le Brexit est le point de départ et de bascule. La convulsion démocratique de cette crise est un trou noir. Toute rationalité ou dialectique y est irrémédiablement absorbée et réduite à néant. C’est ce qui apparait en filigrane dans la cinquième saison de Peaky Blinders, alors que Thomas Shelby se fait avoir par Sir Oswald Mosley, nationaliste et sympathisant fasciste dont les diatribes rappellent le lexique contemporain. Le versant européen du Brexit attendait encore sa fiction, elle semble enfin en bonne voie avec le projet de France Télévisions, Parlement, comédie web chorale et grinçante sur les coulisses de Bruxelles au lendemain du Brexit. Verdict au printemps. N.B.
CINÉMA: Documenter le divorce
S’il a mobilisé de nombreux représentants de la profession, de Danny Boyle à Bill Nighy, le Brexit n’a pas (encore) généré une production cinématographique abondante. Réalisé en 2018 par Toby Haynes, le téléfilm Brexit: The Uncivil War s’invite dans les coulisses de la campagne en faveur du retrait menée en 2016 par le mouvement « Vote Leave » sous la férule de Dominic Cummings (interprété par Benedict Cumberbatch, un… « Remainer » convaincu). Le réalisateur belge Lode Desmet a, pour sa part eu un accès privilégié, deux ans durant, aux négociateurs européens du Brexit. Il en a tiré le documentaire Brexit: Behind Closed Doors (2019), une vision de l’intérieur du processus. Auparavant, un autre documentaire, Postcards from the 48% (2018), de David Wilkinson, avait donné la parole aux Britanniques ayant voté pour rester. Enfin, mentionnons The Riot Club (2014), fiction de Lone Scherfig autour des agissements peu avouables d’un cercle d’étudiants d’Oxford réservé à l’élite, dont on dit qu’il fut inspiré par le Bullington Club, ayant accueilli en son sein David Cameron et Boris Johnson… J.F.Pl.
LIVRES/BD: Déboussolés
Et dans la littérature comment ce divorce ultra-symbolique transparaît-il? « C’était le pire des temps« : c’est par ces mots -écho de la fameuse annus horribilis d’Elisabeth II- que débute Automne d’Ali Smith (premier volet de sa tétralogie), l’un des premiers romans à aborder le Brexit, et publié quatre mois seulement après le référendum du 23 juin 2016. L’autrice écossaise nous y donne à lire un pays englué dans ses contradictions, où chacun, tour à tour, a l’impression d’avoir fait ce qu’il devait et ce qu’il ne devait pas, d’avoir tout perdu ou tout gagné. La même sensation de confusion aussi bien publique qu’intime traverse Le Coeur de l’Angleterre de Jonathan Coe mais, de part et d’autre, cette crise est l’occasion de s’interroger en profondeur sur l’identité britannique. Si ces deux romans sont porteurs d’espoir, ils n’éludent pas la xénophobie en recrudescence, consécutive notamment aux vagues migratoires.
C’est dans cette brèche que s’engouffre Mohsin Hamid avec Exit West, confrontant ses protagonistes au Dark London, un ghetto où nourriture et électricité sont rares. Du côté d’Ian McEwan, on préfère la farce. Dans The Cockroach, le king of macabre met cul par-dessus tête La Métamorphose en imaginant un cafard qui se réveille au 10, Downing Street, transformé en Premier ministre, dans un pays où sévit le reversalism, et où les travailleurs paient désormais leurs employeurs. Il ne s’agit pas là d’une charge destinée à enrayer le processus, plutôt d’un divertissement pour ceux qui se rendent déjà compte de l’absurdité en marche.
Du côté de la bande dessinée, s’il est rare de voir Marvel s’aventurer sur le terrain de l’actualité politique, exception est faite dans Doctor Doom #1. Le super-héros Union Jack s’imagine pouvoir combattre seul Victor Von Doom, super-vilain issu de Latveria, un pays opposé à l’Union européenne. Dans Cassandra Darke, Posy Simmonds (Gemma Bovery) dépeint une galeriste fortunée et acariâtre, pendant contemporain du Scrooge de Dickens. Comme le symbole d’une Grande-Bretagne qui manque parfois cruellement d’ouverture sur l’extérieur… A.R.
JEUX VIDÉOS: Pixels brisés
Blockbuster spectaculaire, sphère indé, simulation de gestion économique… Le divorce effectif de la Grande-Bretagne et de l’UE alimente la création, dans toutes les strates de l’industrie du jeu vidéo. Attendu ce 3 mars, Watch Dogs Legion d’Ubisoft se plonge ainsi dans un Londres dystopique post-Brexit. Suffoquant entre un gouvernement au bord du gouffre, des manifestations de rue et des drones policiers tueurs, ce monde ouvert se glisse dans la peau d’une myriade de hackers insoumis.
Certes, le discours officiel d’Ubisoft souligne que le lieu et le thème du jeu avaient été choisis avant la décision du divorce britannique. Mais Clint Hocking, son directeur créatif, n’hésite pas à souligner qu’« en tant que créateur de contenu culturel, il était de leur responsabilité de parler de sujets réels qui comptent aux yeux des gens ».
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Plus modeste dans sa réalisation, Not Tonight de PanicBarn ne frappe pas moins fort. Ce cousin proche de Paper, Please (un hit indé parlant d’immigration) nous glisse dans la peau d’un videur de boîte de nuit britannique venant de perdre sa nationalité. Traquer les dates de naissance incorrectes, les contrefaçons et les noms de la guest list pour gagner suffisamment d’argent y résonne comme un mantra. Un compte en banque et un niveau de crédit social dans le rouge? Gare à l’expulsion…
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Le divorce britannique s’invite aussi dans les jeux de gestion. Rule Britannia d’Europa Universalis IV (Paradox Interactive) l’évoque entre les lignes: collaborer avec des pays européens y est vital pour faire prospérer la Grande-Bretagne. Football Manager 2019 inclut quant à lui des scénarios de Brexit dans sa gestion des joueurs. Des universitaires, des politiciens et des journalistes ont alimenté son propos pour en accentuer le réalisme. Des scénarios de jeux impensables il y a seulement cinq ans. M.-H.T.
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ARTS: Pile, on reste?
Nombreux sont les artistes affiliés aux arts plastiques qui ont senti qu’il était de leur devoir de faire entendre leur voix en faveur du « Remain ». Dans la sphère de l’art urbain, le pape Banksy s’est fendu de deux encycliques sans équivoque. La première a consisté à ressortir à la date du Brexit, prévue initialement le 29 mars 2019, une toile de 2009 figurant la Chambre des communes britannique peuplée de chimpanzés. But de la manoeuvre? Souligner à propos de ce débat crucial « la régression de la plus ancienne démocratie parlementaire du monde dans une attitude tribale et animale« . Seconde oeuvre à avoir marqué les esprits, une fresque sur une façade à Douvres montrant un ouvrier en train d’effacer au marteau et au burin une étoile du drapeau européen. Du coup, nombreux sont les fidèles de l’art urbain qui y ont été de leur contribution, depuis Odeith (qui revenait sur l’aspect de farce de l’affaire apposant sur un mur un énorme Benny Hill accolé à un phylactère « Good Bye Europe!« ) jusqu’au collectif de Bristol, The Paintsmiths, ayant réalisé, à la demande de l’association WeAreEurope, une oeuvre monumentale sur laquelle Boris Johnson donne à Donald Trump le même baiser (de la mort?) que celui resté célèbre en 1979 entre Brejnev et Honecker.
Outre la rue, des artistes prisés par le marché de l’art se sont mouillés pour le « In »: Susan Stockwell et une oeuvre de tissu représentant les contours pendouillant d’une Grande-Bretagne post-Brexit; Martin Parr portant un regard espiègle sur les adeptes du « Leave » avec la série Ordinary People; Tracy Emin ornant la gare de Saint-Pancras d’un éloquent I Want to Spend my Time with You; ou encore Damien Hirst recyclant son amour des papillons dans un motif formant les lettres « In ». Mais peut-être l’oeuvre la plus éloquente sur ce thème est celle de Grayson Perry,? qui a réalisé deux vases distincts reflétant l’identité assumée des « pour » et des « contre ». Le résultat? Deux potiches (quasi) identiques dont les différences sont plus ténues que ce qui sépare les deux faces d’une même pièce. M.V.
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