Comment la B.O. rock indé de Peaky Blinders a boosté sa réussite

Anna Calvi a cherché à pénétrer en musique les pensées de Tommy Shelby (Cillian Murphy). Don't fuck with the Peaky Blinders!
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Après sa diffusion sur la BBC et son apparition sur Netflix, la cinquième saison de Peaky Blinders débarque le 24 octobre sur Arte. L’occasion de rencontrer Anna Calvi, qui en a composé la musique, et d’évoquer l’utilisation du rock indé dans la saga Shelby…

Le 14 et 15 septembre derniers se tenait à Birmingham la première édition du Peaky Blinders Legitimate Festival. Exposition sur les accessoires de tournage, spectacle chorégraphié par le directeur artistique Benoit Swan Pouffer, défilé de mode, débats, rencontre avec le crew, battles de poésie… Orchestré par le créateur de la série Steven Knight notamment pour couper l’herbe sous le pied d’événements non officiels qui ont parfois suscité la colère des fans, le rendez-vous proposait une expérience immersive unique dans l’univers du clan Shelby. L’occasion de goûter quelques bons whiskys, de se promener dans Garrison Lane et d’aller boire un verre dans la rhumerie d’Alfie… Mais aussi d’assister à un DJ set de Mike Skinner (The Streets), aux concerts de Primal Scream et d’Anna Calvi (qui a composé la musique de la dernière saison) avec des apparitions de Richard Hawley, Jehnny Beth (Savages) ou encore de Liam Gallagher. Femmes à poigne, grandes gueules, Cigarettes (si Cillian Murphy, non fumeur, les utilise à base de plantes, environ 3.000 seraient consommées chaque saison) and Alcohol… Le tableau était presque parfait.

Chronique de gangsters dans l’Angleterre industrielle des années 20 et 30, les « Aveugleurs à visière » (un surnom dû à leurs casquettes dans lesquelles sont dissimulées des lames de rasoir) sont devenus un véritable phénomène télévisuel. Et ils le doivent en partie à leur bande originale. Cette BO volontairement anachronique est à la fois une de ses marques de fabrique et un atout dramatique. Au-delà du Red Right Hand de Nick Cave qui lui sert de générique, la production a allègrement puisé dans le catalogue de PJ Harvey, des Arctic Monkeys, des White Stripes et des Kills. Elle a picoré chez Johnny Cash, Tom Waits, Radiohead, Archie Bronson Outfit et Joy Division. Elle a aussi mis en évidence dans sa cinquième saison de plus jeunes groupes britanniques comme Idles et Cabbage, leur offrant par la même occasion une extraordinaire exposition.

« Nous utilisons des artistes qui sont hors-la-loi. Des indépendants comme les Peaky Blinders« , expliquait Cillian Murphy dans les notes d’intention de la série. L’acteur irlandais au regard perçant avouait avoir été circonspect et même réticent quant au décalage temporel. « C’est Otto Bathurst, le premier réalisateur, qui a eu cette idée. Au départ, je l’ai trouvée très mauvaise. J’étais musicien avant d’être acteur (à 19 ans, il chantait et jouait de la guitare dans un groupe intitulé Sons of Mr Green Genes en hommage à Frank Zappa) et je suis toujours passionné de musique. Y compris de BO de films. Je ne voyais pas comment ce mélange pourrait fonctionner. Mais quand j’ai vu les épisodes montés, j’ai changé d’avis. »

Quand Liam Gallagher se la joue Peaky Blinder...
Quand Liam Gallagher se la joue Peaky Blinder…© Redferns

Et pour cause. L’association fait merveille… « Tu sais quand une chanson est Peaky, racontait-il cet été au New Musical Express. Ces artistes sont des outsiders. Ils ont résisté à la tyrannie du mainstream, dirons-nous. » Par-delà la question de genre musical, de son, d’ambiance, de rugosité, de noirceur, ce sont aussi les mots, leur poésie, qui établissent la connexion entre la musique de Peaky Blinders et ses images. Peu de temps avant sa mort et la sortie de son ultime disque, David Bowie, grand fan de la série et ami de Cillian Murphy (qui lui avait offert sa casquette de la première saison comme cadeau de Noël), a envoyé une copie de Blackstar à l’équipe en lui demandant d’en utiliser un extrait. Sa chanson Lazarus apparaît dans le même épisode que You Want It Darker de Leonard Cohen…

Fille d’hypnothérapeutes, petite soeur de PJ Harvey et de Siouxsie Sioux, l’énigmatique et vénéneuse Anna Calvi a composé la BO des derniers épisodes. Dans une salle de presse impersonnelle et froide du Pukkelpop, elle revient sur l’habillage musical de la nouvelle saison qui prolonge son exploration personnelle de la beauté et de la brutalité.

Comment t’es-tu retrouvée embarquée dans cette aventure?

Le réalisateur Anthony Byrne a assisté à l’un de mes gros concerts londoniens. Il m’a proposé dans la foulée de composer la musique de la cinquième saison. J’étais une grande fan de la série. Je la suivais depuis le début.

Qu’avait cette proposition de si attirant pour toi?

C’est très différent de ce que j’ai l’habitude de faire. Pas dans le fait d’écrire de la musique pour des images, parce que je suis très visuelle dans ma manière de composer, mais parce que ça ne te concerne plus vraiment toi, ça implique la vision de quelqu’un d’autre. C’est un plaisir différent, moins narcissique. Ça t’emmène hors de toi. Puis j’aimais beaucoup l’idée de plonger dans la tête de Tommy Shelby, le personnage principal de Peaky Blinders. Je voulais écrire de son point de vue. Comme si ce que vous entendiez était ce qui se passait dans sa tête.

Qu’est-ce que tu aimes en lui et comment le perçois-tu?

Il est extrêmement charismatique. Même s’il commet des actes atroces, il continue de croire en sa bonté. C’est une juxtaposition très intéressante. Il semble toujours si fort et puissant que tu te demandes ce qu’il faudra pour le détruire. Dans la nouvelle saison, tu te dis qu’il va craquer. Il tient sa famille et son entreprise à bout de bras depuis si longtemps. Il prend soin de tout le monde. Et donc, comme il se détériore, tout le monde autour de lui est aussi en train de s’effondrer. C’est vraiment le prototype de l’anti-héros.

Qu’est-ce que la production attendait de toi?

Le réalisateur m’a demandé de regarder la série et de répondre aux images avec ma guitare. C’est ce que j’ai fait. Alors qu’il était en train de l’éditer, il m’a envoyé le premier épisode. Je l’ai maté et j’ai commencé à jouer de la gratte et à chanter en même temps. Puis, je lui ai envoyé ce que j’avais enregistré. Bases sur lesquelles il m’a quelque peu orientée. J’ai fait tout ça de manière très instinctive, en fait. Je ne voulais pas trop réfléchir, me demander comment ça me faisait me sentir pour savoir comment j’allais exprimer tel ou tel sentiment. Le premier épisode m’a pris un mois. Je l’ai regardé encore et encore. Je trouve la violence à la télé assez difficilement soutenable. Et Peaky Blinders est plutôt brutal. Quand je compose la musique pour une scène cruelle, je dois m’y confronter, m’immerger. Et donc, tu te retrouves une journée entière à voir un mec se faire tirer une belle en pleine tête.

Tu es partie te promener à Birmingham? Tu as rencontré Cillian Murphy?

Je ne suis pas allée à Birmingham, non. De toutes façons, elle ne ressemble plus vraiment à celle des Pleaky Blinders (rires). Et je n’ai jamais rencontré Tommy Shelby non plus… J’ai fait la connaissance des autres acteurs à la première. Mais Cillian n’était pas là malheureusement. Je n’ai jamais été sur le tournage. J’aurais bien voulu pourtant. Quoi qu’il en soit, il est génial dans ce rôle et j’ai vraiment pu m’abandonner. Je me suis demandé: et si j’étais vraiment lui… J’ai regardé les épisodes tellement de fois. Je vivais, dormais, mangeais, respirais, rêvais Tommy Shelby.

Anna Calvi et le réalisateur Anthony Byrne. Let the music play...
Anna Calvi et le réalisateur Anthony Byrne. Let the music play…

La confrontation du rock noir et rêche contemporain au Birmingham des années 20 et 30 n’est pas étrangère au succès de la série…

Sur papier, tu as l’impression que ça ne marchera pas mais ça colle à merveille. Ça rend la série tellement cool. Les choix que l’équipe a effectués sont d’un incroyable bon goût. Elle n’avait jamais utilisé une de mes chansons, mais dans cette nouvelle saison, elle en a pris quelques-unes. Pour mes compositions originales, on me prévenait de ce qui allait venir avant et de ce qui arriverait après.

Ce n’est pas la première fois que tu sors de ta zone de confort, de ton champ d’action traditionnel…

J’avais déjà travaillé avec Robert Wilson, qui est un metteur en scène de théâtre d’avant-garde. On a fait un opéra ensemble: The Sandman. J’ai aussi composé un morceau pour un film de science-fiction: The Divergent Series: Insurgent. C’était marrant. Puis plus récemment pour The Souvenir de Joanna Hogg. Quand tu fabriques de la musique pour des images, c’est comme de la chorégraphie: tu essaies de suivre les formes, la manière de bouger de la caméra. Quand tu écris pour un opéra, tu ne vois pas tout ça, tu es davantage dans l’histoire. De manière générale, les films sont faits pour être vus en grand. Ils sont souvent plus frappants, marquants dans leur esthétique. Là où les séries sont dans le développement de personnages. En ce sens, ils sont différents. Mais la manière avec laquelle Anthony Byrne, son réalisateur, a abordé cette saison rend Peaky Blinders plus filmique que jamais. C’est épatant visuellement, même vu sur un laptop. C’est brillamment cadré.

Tu t’es inspirée de certaines musiques de série?

Je n’y avais jamais vraiment prêté attention mais je les remarque davantage maintenant. Celle de Stranger Things est particulièrement réussie. Quand j’entends des cordes dans une série télé, je les trouve généralement très ennuyeuses. On les a tellement utilisées. Il est rare que des gens parviennent à rendre ces sons intéressants. La seule personne qui y arrive à mes yeux, c’est Mica Levi. Nous ne sommes pas proches Mica et moi, mais on fréquente les mêmes cercles depuis dix ans. Elle compose beaucoup pour le cinéma. Sa manière d’utiliser les cordes leur offre un nouveau son.

Ta musique pour Peaky Blinders va déboucher sur un album?

Je ne sais pas combien de temps de musique j’ai pu composer et quelle est la proportion employée à l’antenne. C’est au mixage que l’équipe décide. Parfois, elle va virer la voix ou la guitare. Ce qui est bizarre, parce que d’habitude, c’est moi qui décide de tout. Et là, elle peut faire ce qu’elle veut de mon travail. Mais je suis contente de la manière dont elle a été utilisée. Le réalisateur et moi étions sur la même longueur d’onde. Chaque fois qu’il suggérait des modifications, j’ai compris pourquoi. Elles avaient du sens. Il a un incroyable instinct pour la musique et la manière dont elle doit sonner. J’ai eu plus ou moins une semaine par épisode, excepté pour le premier. Je ne voulais laisser tomber personne. J’ai donc dû veiller à respecter les deadlines. C’était un peu intimidant. Je pense que si cette expérience influence ma musique, ce sera dans l’instinct. Quand je travaille sur mes disques, j’ai davantage de temps pour réfléchir. Je traîne. Là, j’ai dû prendre des décisions rapidement. C’est important d’emmener ça avec moi. Sinon, j’aimerais sortir la musique que j’ai composée pour la série, oui, mais rien n’est encore décidé.

Peaky Blinders, saison 5. Lire notre critique.

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