Sleaford Mods: « Il n’y a plus assez de groupes ouvriers dans la pop et le rock »

Jason Williamson (à droite): "On a parfois l'impression que certains médias nous voudraient avec 20 ans de moins. Mais on ne raconterait définitivement pas les mêmes conneries." © Richard Saker
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Un nouvel album, un documentaire et une tournée qui s’arrêtera aux Nuits Botanique. Sleaford Mods is back et Jason Williamson sonne la charge.

Ils aiment tacler les politiciens et Oasis. Ont joué dans le parc d’attractions éphémère de Banksy. Et ont recueilli jusqu’aux compliments d’Iggy Pop. En attendant la sortie au printemps du documentaire Bunch of Kunst, les Sleaford Mods dégainent English Tapas. Nouveau condensé de hip-hop fendard, nerveux et pas content. Beats rachitiques, esprit punk… Immersion dans le fin fond de l’Angleterre et confrontation à Amsterdam avec l’adorable Jason Williamson, sa grande gueule et ses pompes de compète…

Il paraît que tu as donné naissance à English Tapas dans un bar?

C’est là que tout a commencé. Je me suis enfermé dans un pub à Nottingham, un vrai, en bas de chez moi, pendant un mois. Je vais là-bas avec mon laptop, j’attends et je regarde. Un peu comme un scientifique part rencontrer la nature. Maintenant, un disque, c’est comme un puzzle. Tu rassembles des trucs que tu as entendus dans le train, à un concert… Au début, c’est vraiment de l’observation. Tu te documentes. Puis parfois les choses viennent à toi de manière plus violente, impulsive. Je parle de tout. De l’enfance, de la politique, des rancunes, du quotidien… En gros de la vie des gens. Et un mois au pub, ça te replonge dans la réalité. Pire à chaque fois.

Quels sont les trucs qui t’ont le plus foutu en rogne l’année dernière?

Le vote pour le Brexit. Beaucoup d’Anglais n’ont pas un rond et n’ont jamais foutu un putain de pied hors du pays. Je comprends pourquoi les gens ont dit non à David Cameron. Ils n’en ont rien à foutre de tout ce bordel. Mais moi, cette idée que nous sommes tous ensemble sur le même bateau me plaît. Je n’aurais jamais pu filer ma voix à l’exfiltration, à Boris Johnson et Nigel Farage. À part ça, il y a le désespoir que m’inspire l’industrie du disque. Quelle merde. Je peux comprendre que des groupes soient pas terribles. Parfois, ce n’est même pas de leur faute. Ils sont piégés par des contrats et ils ne pourraient pas mieux faire. Mais il y a quand même beaucoup de gens dans ce business qui n’ont rien à y branler. C’est un petit repère pour les gains capitalistes où il n’y a, la plupart du temps, que très peu d’espace pour la créativité. Je veux dire que beaucoup de groupes croient être là parce qu’ils sont bons alors que ce n’est pas du tout le cas.

Quand est-ce que ça a foiré?

Ceux qui ont tout foutu en l’air, ce sont les frères Gallagher. Oasis a tapé une putain de couverture sur la conscience des gens. Groupe à guitares issu de la classe ouvrière, il a séduit la majorité des jeunes de la working class blanche qui voulaient faire de la musique. Tu vois où je veux en venir? Ils ont tout bousillé. Ils ont vidé le rock de son contenu. Definitely Maybe était cool. Le deuxième était déjà bien trop poli. Dans la foulée, il n’y avait plus rien pour te parler de ce que vivaient les plus démunis. Même dans l’underground. Tu pouvais juste trouver ce genre de choses dans le hip-hop américain et certains projets grime. Partout ailleurs, c’était compliqué. Certains, de toute évidence, ont conservé leur intégrité. Des mecs comme Thom Yorke. Même si je n’aime pas beaucoup sa musique, le type s’accroche à la tristesse. Mais mon truc à moi, il est basé sur l’échec, sur l’aliénation, sur le désespoir. Et je pense que la plupart des jeunes musiciens d’aujourd’hui n’ont pas connu tout ça. Ils viennent de milieux plus aisés. La classe moyenne a pris le dessus en Angleterre. Tu ne trouves plus beaucoup de groupes ouvriers dans la pop et le rock. Puis, au sein même de la working class, les gens qui ont vécu et vivent des choses pénibles n’en ont pas conscience. Moi à 14 ans, je réalisais. Maintenant, tu dois en avoir 30. C’est comme si on avait installé une espèce de minuterie, une minuterie de plusieurs années, sur la conscience des gens. Ils sont tellement noyés d’images, pris par le flux, qu’ils ne voient plus. Ils ne savent pas où diriger leur confusion.

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Le succès de Sleaford Mods ne t’a pas changé?

J’habite toujours dans le même quartier. Dans la même maison. J’ai juste arrêté de boire. Je ne bois plus depuis huit mois. C’était trop. Je devais. Je n’avais pas le choix. Trop de picole, trop de cocaïne. Il y a deux ans, je t’avais dit que j’avais arrêté de sniffer? Je te mentais. Je me mentais à moi-même déjà. La coco et moi, c’est une longue histoire. J’ai arrêté de boire parce que c’est ce qui causait ma dépendance. C’est une bonne chose d’une certaine manière. Je suis plus sûr de moi et de mes décisions. De toute façon, c’était ça ou perdre ma famille. La dernière chose que je voulais. Ça aurait été la fin. L’apologie de la drogue et des excès qu’incarne Keith Richards, c’est de la connerie. « Ouais, on allait acheter de l’héroïne à des blacks dans le Lower East Side. Je prenais un flingue avec moi. » Mais mec, ferme-la. Va te faire foutre.

Vous avez enregistré dans le studio du bassiste de Pulp Steve Mackey. Tu étais fan?

Je n’ai aucun de ses albums. Pas mon truc. Mais c’était de toute évidence un groupe de qualité et Jarvis Cocker chantait des textes intéressants. On cherchait un studio et on a atterri là via notre label. C’est juste un garage. Je me suis senti à la maison. On ne demande pas grand-chose. On produit nous-mêmes nos disques. On n’a pas besoin de gadgets ni d’artifices. Andrew m’envoie ce qu’il a comme idée de beat et je lui dis si j’aime ou pas. Puis je travaille sur les mots. Avant, on improvisait pas mal mais maintenant, je réfléchis davantage. J’aboie moins qu’avant. J’analyse la musique. Je l’approche de différentes manières pour voir ce qui fonctionne.

Quelle relation entretiens-tu au final avec l’Angleterre?

Mon pays, je ne le déteste pas mais je ne l’aime pas non plus. Pourquoi est-ce que j’aimerais un bout de terre? Je ne sauve aucun politicien. Pas un. Ceux qui veulent faire de bonnes choses n’ont pas leur chance. Ceux qui ont du bon sens ne sont pas entendus. Ils sont sans voix. Partout, c’est la même explosion de la droite. Tous ceux qui s’y opposent sont réduits au néant. Comment faire confiance à un seul de ces types?

English Tapas, distribué par Rough Trade/Konkurrent. ***(*)

Le 16/05 aux Nuits Botanique.

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