Le feu et la glace: rencontre avec Rose Leslie, qui illumine The Time Traveler’s Wife

Face à Theo James, son Time Traveler de mari, Rose Leslie est une anti-Pénelope qui redéfinit la notion d’attente au sein de relation amoureuse.
Nicolas Bogaerts Journaliste

Depuis Game of Thrones, Rose Leslie s’est imposée sur la cartographie mondiale des actrices à suivre. Elle est impeccable dans The Time Traveler’s Wife, nouvelle série signée Steven Moffat.

Tu ne sais rien, Jon Snow.” Ainsi défiait-elle le blanc-bec (Kit Harington, depuis son époux à la ville) dans Game of Thrones avec son grain de voix volcanique, premier indice d’une présence tellurique. Repérée en 2010 dans Downton Abbey en servante discrète mais émancipée, elle trace depuis un sillon exigeant, en grosses cylindrées (The Good Fight, Luther) et pépite claustrophobe (Vigil). Ces rôles trahissent une force de caractère peu commune au sein d’un tout-venant hollywoodien narcissique à souhait. Dans The Time Traveler’s Wife (lire la critique), elle est Clare, une anti-Pénélope dont le mari, Henry (Theo James), fait des allers-retours dans le temps. Détricotant le déterminisme amoureux, la place du trauma et de la réparation dans le couple, son jeu ancre le surnaturel de l’histoire dans une matière humaine désarmante de lucidité. Et force l’admiration du créateur Steven Moffat (Doctor Who): “Je ne l’ai jamais vue à cours de propositions. Dès qu’elle trouve la note juste, elle ne la lâche plus, la reproduit à l’identique, avec la même application et les mêmes nuances. C’est rare de voir un actrice aussi professionnelle.” “Disons qu’il nous a fallu beaucoup de travail pour rendre plausible ce conte parfaitement surréaliste”, admet-elle dans un sourire qui explose l’écran de la session Zoom hébergeant notre entretien.

Vous semblez choisir vos rôles avec une grande minutie, presque par affinité. C’est ce qui vous a fait accepter le rôle de Clare?

J’avais déjà intensivement travaillé sur Game of Thrones avec David Nutter, le réalisateur. Il a immédiatement pensé à moi pour le rôle (rires). Mais en lisant le scénario du premier épisode, avant même le casting, j’ai immédiatement été accrochée par l’écriture minutieuse de Steven Moffat, la richesse de ses détails. J’ai essayé de ne pas trop en faire sur les variations d’émotions. Pour avoir lu le livre il y a quelques années, je connaissais le risque de m’éparpiller dans les émotions. J’ai choisi de m’appliquer à façonner sa personnalité à partir de son passé, sa personnalité, son histoire, sa famille, et laisser émerger la matière.

Quelle étape de sa vie était la plus surprenante à incarner pour vous?

La Clare de 16 ans. Je ne m’y attendais pas. J’avais des extensions dans les cheveux et la sensation de jouer machinalement avec ses longues boucles m’a donné une information, presque imperceptible, sur cette fille beaucoup plus jeune que moi. Un langage corporel bien particulier qui n’est pas le mien. J’ai beaucoup aimé l’insécurité qui s’en dégageait. Les dialogues de Steven ont fait le reste. Il a capté les incertitudes qui traversent les jeunes adolescentes. C’était fascinant de me plonger aussi facilement dans un personnage aussi loin de ce que je suis.

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La faire évoluer dans une continuité aussi morcelée, était-ce un challenge de plus?

Je n’ai pas véritablement abordé son arche de manière chronologique. Son essence comme sa maturation doivent être perceptibles et correspondre à chaque moment. Plus jeune, elle est jouette, volontariste, énergique. Avec l’âge, je voulais lui donner plus d’ancrage, un socle solide, une sérénité dans sa manière de bouger, dans la tonalité de sa voix. À partir du moment où Henry et elle vivent cette histoire d’amour depuis longtemps, il fallait que ça se ressente dans leur manière de parler, dans leurs regards, dans leur communication non verbale: une connivence, une lassitude ou une forme de maturité.

Avez-vous puisé dans votre propre expérience de quoi alimenter cette étrange relation à l’écran?

Ces relations longues distances, j’y suis habituée, puisque mon mari est aussi acteur et que nous sommes souvent éloignés l’un de l’autre. Je m’en suis inspirée pour exprimer l’attente, la langueur, l’impatience qu’on peut ressentir quand on a envie de se plonger dans les bras de l’autre. Chez Clare, il y a cette anxiété supplémentaire parce que, lorsque Henry disparaît dans ses voyages, personne ne sait où il va arriver ni s’il va en revenir vivant. Cette frayeur constante, à bas bruit, est entremêlée avec un immense désir. De fait, ça m’a rappelé ce que j’ai vécu et vit encore dans mon couple. Même si les enjeux ne sont pas les mêmes et la crainte permanente envers la sécurité de l’être aimé n’est plus en jeu.

Quand Henry disparaît, Clare attend. En français, ce verbe a une double signification: attendre quelqu’un et attendre quelque chose de quelqu’un. Entre les deux, il y a le monde du couple et de ses malentendus?

Oui, il y a un monde entre ces deux idées. À 20 ans, lorsqu’elle le retrouve, Clare attend de Henry, qui a plus ou moins le même âge, qu’il se comporte d’une certaine manière avec elle. Avec la gravité, la sagesse qui se dégageait de cet Henry de 40 ans qui la visitait durant son adolescence. Mais il n’est pas encore cet Henry-là. Il est volage, irresponsable, immature. Je pense que c’est une immense contrariété pour elle que de devoir lutter contre le conte de fées qu’elle s’était construit. La série pose la question: doit-on devenir ou rester la personne dont l’autre tombe amoureux? Clare lutte face à cette idée que son libre arbitre est prisonnier d’un futur qui lui est prédéterminé. N’y aurait-il plus rien d’autre à attendre? C’est un personnage qui a la compassion, l’énergie, la détermination pour s’opposer, s’accommoder, traverser les épreuves, dépasser les frustrations. Et abandonner toute idée de contrôle de l’autre.

The Time Traveler’s Wife, une série créée par Steven Moffat. Avec Rose Leslie, Theo James, Desmin Borges. Tous les lundis à 20.30 sur Be 1. ***(*)

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