Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

DE LA NÉCESSITÉ DE LUTHER – DANS UN SOMBRE LONDRES COUPÉ DES FÉERIES OLYMPIQUES, UN DÉTECTIVE DÉRANGÉ TENTE DE GARDER LA TÊTE HORS DE L’EAU, DANS UNE SÉRIE AU TON UNIQUE. À L’ANGLAISE.

UNE SÉRIE BBC CRÉÉE PAR NEIL CROSS. AVEC IDRIS ELBA, RUTH WILSON, WARREN BROWN. COFFRET INTÉGRALE DEUX SAISONS. DIST: STUDIO CANAL.

Les amateurs hardcore (ou un minimum intéressés) n’y trouveraient qu’une redondante affirmation: c’est, désormais, du nord de l’Europe que proviennent les séries les plus intéressantes. Pas étonnant de voir l’oncle Sam s’en inspirer pour pallier son manque de souffle, lui qui tint, une décennie durant, le haut du pavé en matière de fictions télévisées. Pas sûr pourtant que Luther soit un jour adapté outre-Atlantique. Parce que son originalité, la série la puise moins dans un scénario parfois convenu que dans un ton résolument unique, cocktail alchimique d’iceberg dramatique et de polar bulldozer. Une bizarrerie. Comme si les canons du polar classique américain -un flic charismatique, un rookie qui apprend à ses côtés, un cas à résoudre par épisode- propulsaient des salves de boulets hybrides, psychologisants, violents, crus. On pense à cet épisode ahurissant de la deuxième saison, quand un tueur fou, facho d’apparence absolument normale, investit l’open space d’une entreprise pour y massacrer les employés à coups de marteau. Plus froid dans le traitement, tu meurs. Mais à côté de cela, à côté de ce Londres pluvieux, triste et déshumanisé, à côté de ces intrigues morbides, il y a Luther.

L’idée de l’année, c’est Idris Elba. Un acteur-mur, dans tous les sens du terme. Immense. Infranchissable. Un acteur au charisme magnétique, fascinant, éc£urant de facilité. Déjà, dans The Wire, probablement la plus grande série jamais produite à ce jour, Elba campait un Stringer Bell génial, lui qui bouffait l’écran dans son personnage de trafiquant instruit, coincé entre son destin, sa loyauté et sa soif d’élévation sociale.

Ici, le comédien britannique se glisse dans la peau de John Luther, flic borderline et ultra talentueux comme, avant lui, tant d’autres flics de fiction. Rien d’original à cela. Sa femme l’a quitté. Pareil. Il veut la récupérer. Là encore, déjà vu. Et revu. Mais pas besoin d’y coller son nez trop près pour le comprendre: ça pue la tragédie grecque, cette histoire. Surtout parce que Luther, en ayant laissé mourir un tueur d’enfants, s’est engagé dans une voie sans retour. Surtout parce que Luther, en se liant d’une amitié étrange avec une ravissante psychopathe, ne fait que confirmer qu’il est à la dérive. Les démons ne sont pas loin. Ils étaient tapis dans l’ombre. Mais ils ont soif de lumière…

Mini-série estampillée BBC, aujourd’hui regroupée dans un coffret de quatre DVD (les deux saisons complètes, soit dix épisodes, plus un making of), Luther parvient à diluer dans une étonnante intensité les défauts, pourtant bien réels, qu’elle possède. Trahie çà et là par quelques facilités purement scénaristiques (le traitement des intrigues individuelles n’est pas toujours à la hauteur du reste), la série se rattrape et ne dérape jamais. Et même si, de drame psychologique mâtiné de suspense policier, elle passe dans la deuxième saison au registre du polar pur, on peut toujours s’appuyer sur la puissance d’Elba pour rester scotché au plasma. Addiction qui, ces dernières années, tend à se raréfier. l

GUY VERSTRAETEN

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