En place et la bonne santé de la drôlerie française en séries

En place, nouvelle preuve de la bonne santé de la comédie hexagonale en séries. © National
Nicolas Bogaerts Journaliste

Quand le cinéma hexagonal semble pendu aux moustaches d’Astérix, les séries télé font carton plein dans l’humour. De Dix pour Cent à En place, la drôlerie française tient son A.O.C.

Jusque récemment, le paysage audiovisuel français était traversé par la certitude que seules les séries de flics ou d’espions (Engrenages, Braquo, Le Bureau des légendes) pouvaient fédérer les enthousiasmes dans et au-delà de ses frontières. Le succès de Dix pour cent (2015-2020) de Fanny Herrero a été le début d’un solide démenti, prolongé aujourd’hui par le carton naissant de la comédie politique et sociale En place de Jean-Pascal Zadi sur Netflix.

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Dix pour cent a fait figure de pionnière. En racontant les aventures et mésaventures des employés et partenaires de l’agence Samuel-Kerr, et de leurs “talents” (vedettes du cinéma, de la télé, dans leur propre rôle), la série a bénéficié d’une écriture incisive, d’un casting efficace et glamour pour porter l’idée d’un souffle nouveau. Récompensée aux International Emmy Awards en 2011, adaptée à travers le monde (Angleterre, Corée du Sud, Chine, Moyen-Orient…), son succès est aussi le fruit d’une évolution démarrée un peu plus tôt.

Une recette française?

On peut remonter à la vague Bref (2011-2012) de Kyan Khojandi et Bruno Muschio ou au plus discret Platane d’Éric Judor, autofiction désopilante et décalée où Éric découvre le monde sans Ramzy après un coma prolongé, pour mesurer combien l’originalité du format, de l’écriture et des thèmes comptent beaucoup dans la régénération du genre comique à la télé. L’univers absurde et référencé de Platane, ainsi que sa longévité (la série court depuis 2011, avec une périodicité flottante) ont renforcé l’idée qu’il n’était plus nécessaire de copier, adapter ce qui se faisait ailleurs pour rencontrer le public. Aujourd’hui, les succès d’OVNI(s) (Clémence Dargent et Martin Douaire), de Jeune et golri (Agnès Hurstel), la réussite critique de Drôle (Fanny Herrero) malgré un enterrement prématuré par Netflix, enracinent l’idée d’un début d’avènement pour la série comique française, et ce malgré quelques foirages (Les Amateurs sur Disney+, La Flamme sur Canal+).

Aussi à l’aise dans la culture cash des comedy clubs ou des barres d’immeubles, le glamour contrarié ou les imaginaires bousculés par une poésie ironique, la série comique made in France peut se permettre de rêver grand. Parce qu’elle s’appuie désormais sur des auteurs et autrices capables de jouer avec les rythmes (ce nombre d’or de la comédie), les références, les expérimentations, de contrarier les normes. Mariant drame et burlesque, son écriture propose des points de vue singuliers sur le monde, donne vie à des personnages contrastés, dont les difficultés, les maladresses ou les destins contrariés sont autant de tremplins pour l’humour. C’est là que la question de la représentativité est centrale: créer des personnages auxquels la mosaïque infinie du public peut s’identifier, car ils ne proviennent pas du creuset bourgeois qui colonise tant le cinéma.

Dix pour cent
Dix pour cent © National

Rêver grand

Fabrice de La Patellière, directeur des fictions françaises de Canal+, le confirme: “L’expérience des années 2010 a été profitable pour la reconnaissance de l’importance des auteurs et de l’écriture collective. La production française poursuit ses efforts dans un monde très concurrentiel.” Même s’il est encore difficile de parler de recette, certains points communs expliquent la réussite. À celle de Dix pour cent semble répondre le bon démarrage d’En place sur Netflix, comédie propulsant Stéphane Blé, animateur d’un quartier de banlieue, dans une course à la présidentielle. Toutes deux semblent confirmer que lorsque l’écriture s’appuie sur les particularismes pour tendre au plus général, la formule tient la route. Pour Fabrice de La Patellière, “il faut des séries ancrées dans une réalité française, très locales, mais qui portent des thématiques universelles. Sans oublier une qualité visuelle narrative capable de rivaliser avec ce qui se fait ailleurs, aux États-Unis, en Angleterre, en Espagne…

Bref
Bref © National

Coécrite par Lison Daniel, Judith Havas ou encore Fanny Ruwet, Thomas Wiesel et Jason Brokerss (pour les séquences stand-up), Drôle ne s’est pas contentée d’être une série comique qui aligne les punchlines sur et en dehors des comedy clubs. Avec ses personnages issus de la diversité, plongés dans un milieu compétitif où la fraternité, la sororité et la solidarité ne sont pas complètement absentes, elle est, comme Jeune et golri avant elle, et En place après elle, une série drôlement réconfortante parce qu’inclusive. Rire ensemble, grincer ensemble, paniquer ensemble devient cathartique, un éclat d’aise que le malaise des personnages, érigé en force de caractère, en gage de transfert pour l’auditoire, nourrit sans discontinuer.

En place

Stéphane Blé (Jean-Pascal Zadi), jeune animateur de quartier, rappeur raté, presque papa flippé, devient malgré lui chouchou de l’élection présidentielle. Après une altercation avec le maire de sa ville de banlieue Éric Andrei (Benoît Poelvoorde, en grande forme), favori des sondages, la vidéo de la scène fait le buzz et le tour des rédactions, et voilà ce grand dadais gaffeur dans la course à l’investiture suprême, affublé d’un communicant mielleux (Éric Judor). Face à eux deux, l’écoféministe Corinne Douannier (Marina Foïs), le facho Cognard (Pierre-Emmanuel Barré), le droitier Durandeau (Emmanuel Dehaene). Malgré un récit qui va vite en besogne, la série s’en sort par le haut grâce à des dialogues malins, référencés, une bonne satire de la com’ politique, une réalisation efficace et des personnages attachants. Si le message politique corrosif se dissout à mesure que les six épisodes de 30 minutes s’égrainent, En place offre un rire cathartique aux tourments sans fin de la société française.

Une série créée parJean-Pascal Zadi et François Uzan. Avec Jean-Pascal Zadi, Éric Judor, Benoît Poelvoorde. disponible sur netflix. 7

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